Revue - Les Cahiers de l'Arbitrage N°2 - 2024 - 99

COMMENTAIRES DE JURISPRUDENCE
que le créancier puisse in fine percevoir les sommes rendues indisponibles par la
saisie 27
, ce qui suffit en soi à contrôler les risques de contournement et d'abus - une
mesure conservatoire qui ne peut être menée à son terme n'ayant aucun intérêt.
Au vrai, loin d'être « indispensable », l'interprétation extensive faite par la CJUE
du Règlement n° 423/2007 est le fruit d'un choix assumé de politique juridique,
dont on pourrait se demander s'il n'excède pas en définitive les prérogatives de
cette institution. En effet, s'il appartient bien à la CJUE d'interpréter les textes
européens lorsque leur rédaction le rend nécessaire, il n'entre pas dans son mandat
de créer la norme juridique en lieu et place du législateur européen - en l'espèce,
le Conseil de l'Union européenne.
Or, si le Conseil avait voulu interdire toute mesure provisoire sur les fonds
gelés sans autorisation préalable, il lui aurait été loisible de le dire clairement.
C'est ainsi que dans le cas des sanctions prises contre le régime de Saddam
Hussein, le Règlement n° 1210/2003, dont la définition du gel des avoirs était
exactement identique à celle du Règlement n° 423/2007 28
, prévoyait expressément
l'interdiction de tout « type de saisie, saisie-arrêt ou autre voie d'exécution »
sur les fonds et ressources économiques gelées en son article 10 29
. La Cour
de cassation en avait logiquement déduit qu'à compter du jour où cet article
n'était plus applicable 30
sur les fonds gelés était parfaitement possible 31
, la mise en œuvre de procédures civiles d'exécution
. C'est d'ailleurs au regard de
cette jurisprudence que l'avocat général, dans l'affaire donnant lieu aux arrêts
commentés, avait conclu à titre principal au rejet du moyen relevé d'office par la
Cour de cassation 32
.
B. Une transposition hâtive de la solution aux sanctions libyennes
qui aurait mérité d'être davantage soupesée
Pour appliquer au Règlement n° 2016/44 la solution dégagée par la CJUE
concernant le Règlement n° 423/2007, la Cour de cassation se contente de relever
que (i) ces règlements retiennent des définitions similaires des mesures de gel et (ii)
leurs considérants « soulignent la portée préventive » de ces mesures. Mais est-ce
bien suffisant ?
Les définitions des mesures de gel correspondent au libellé-type prévu par
les lignes directrices relatives aux sanctions établies par le Secrétariat général du
Conseil de l'Union européenne 33
. Quant à la portée préventive des règlements,
c'est l'objet même de tout régime de sanctions que de tenter de prévenir ou faire
27. Cass. 2e
civ., 11 mai 2017, n° 15-26658, D. 2017. 1197 ; JCP E. 2017. 1310.
28. Règlement (CE) n° 1210/2003 du 7 juillet 2003 concernant certaines restrictions spécifiques
applicables aux relations économiques et financières avec l'Irak et abrogeant le règlement (CE)
n° 2465/1996 du Conseil, article 10.
29. Règlement (CE) n° 1210/2003 du 7 juillet 2003, article 1, 4).
30. L'article 18 du Règlement n° 1210/2003, qui prévoyait initialement que l'article 10 ne
serait applicable que jusqu'au 31 décembre 2007, a été plusieurs fois modifié afin de prolonger son
application jusqu'au 30 juin 2011.
31. Cass. 2e
civ., 11 mai 2017, n° 15-26658, D. 2017. 1197 ; JCP E. 2017. 1310.
32. Avis complémentaire de l'avocat général (Mme Anne Caron-Déglise) suite à l'Avis 1015
(pourvois n° 19-21964 et n° 19-21995).
33. Lignes directrices relatives aux sanctions - mise à jour, 4 mai 2018, réf. 5664/18, §§ 60-61.
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