Manuel - Droit des obligations - 14e - 309

Problèmes communs à tous les contrats inscrits dans la durée
Même si elle n'intervient qu'au bout d'un processus qui est en réalité
conçu pour l'éviter, cette ultime possibilité de révision judiciaire constitue
une véritable innovation. Jusqu'à présent,eneffet,la jurisprudence
n'avait jamais admis qu'un juge puisse réviser lui-même le contrat.
Y compris quand la partie demanderesse démontrait qu'elle était gravement
lésée par le changement imprévisible de circonstances42
ou que les
modifications nécessaires pour assurer le maintien du contrat étaient
simples à réaliser43
.
Ce refus de la révision judiciaire pour imprévision faisait l'objet de nombreux débats44
.Il se distin.
Il
tranchait avec la position adoptée dans de nombreux systèmes juridiques étrangers qui
accueillent une telle révision sans pour autant favoriser l'insécurité juridique45
guait également de la solution retenue par les PECL (art. 6:111) et les Principes d'Unidroit
(art. 6.2.3) qui, tout en affirmant le principe de l'intangibilité du contrat en cas de changement
de circonstances, donnent en dernier recours au juge le pouvoir de mettre fin au
contrat ou de l'adapter afin de rétablir l'équilibre des prestations.
Un tempérament avait néanmoins été trouvé en jurisprudence. Sans avoir le pouvoir
de réviser lui-même le contrat, le juge français disposait à tout le moins de la possibilité,
sur le fondement de l'obligation d'exécution de bonne foi (v. supra, nº 278 et s.), de sanctionner
la partie qui refuse obstinément toute renégociation d'un contrat devenu profondément
déséquilibré46
.
352. Pouvoirs du juge des référés. - La question de la révision pour imprévision se
prolonge sur le plan de la procédure civile où l'on voit que le juge des référés peut :
- même en présence d'une contestation sérieuse tenant à l'évolution des circonstances
économiques et son incidence sur l'équilibre du contrat, être garant de l'intangibilité
du contrat en ordonnant à une partie, sur le fondement de l'article 873, alinéa 1, du Code
de procédure civile, de reprendre les relations contractuelles qu'elle a suspendues de
façon manifestement illicite47
;
42. Civ., 6mars 1876, Canal de Craponne, DP 1876, 1, 193, note A. GIBOULOT ; GAJ civ.,nº 165 :« dans aucun
cas, il n'appartient aux tribunaux, quelque équitable que puisse leur paraître leur décision, de prendre en considération
le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties et substituer des clauses nouvelles à
celles qui ont été librement acceptées par les contractants ». V. aussi Cass. com., 18 déc. 1979, nº 78-10763,
Bull. civ. IV, nº 339.
43. Ex. : Cass. 3e
civ., 18mars 2009, nº 07-21260, Bull. civ. III, nº 64 ; RTD civ. 2009.528, obs. B. FAGES,impossibilité
de substituer une obligation monétaire à une obligation de faire dont l'exécution est devenue impossible.
44.
V. parmi une abondante bibliographie B. FAUVARQUE-COSSON, « Le changement de circonstances », RDC
2004, p. 67 ; E. SAVAUX,« L'introduction de la révision ou de la résiliation pour imprévision », RDC 2010,
p. 1057.
45. D. TALLON, « La révision du contrat pour imprévision au regard des enseignements récents du droit
comparé », in Mél. Sayag, Litec, 1997, p. 403. V. également M.MEKKI,«Hardship et révision des contrats.
- 1.Quelle méthode au service d'une harmonisation entre les droits ? », JCPG 2010, 1219 ; et « Hardship et
révision des contrats. - 2. L'harmonisation souhaitable des conditions de la révision pour imprévision »,
JCPG 2010, 1257.
46. Arrêt Huard : Cass. com., 3 nov. 1992, nº 90-18547, Bull. civ. IV, nº 338 ; CCC 1993, nº 45, note L. LEVENEUR;
JCPE 1993, II, 22164, note G. VIRASSAMY ; RTD civ. 1993.124, obs. J.MESTRE, contrat d'approvisionnement
pétrolier. V. aussi Cass. com., 24nov. 1998, nº 96-18357, Bull. civ. IV, nº 277 ; Defrénois 1999, p. 371,
obs. D.MAZEAUD; RTDciv. 1999.98, obs. J. MESTRE, contrat d'agence commerciale ; Cass. com., 15mars
2016, nº 15-16406, RDC 2018, p. 21, note Ph. STOFFEL-MUNCK, plan de développement d'un ensemble de
points de vente sous franchise. Comp. Cass. 1re
civ., 16mars 2004, nº 01-15804, D. 2004.1754, note
D.MAZEAUD; JCPE 2004, p. 737, note O. RENARD-PAYEN ; RLDC 2004/6, nº 222, note D. HOUTCIEFF ; RTD civ.
2004.290, obs. J.MESTRE et B. FAGES,en présence d'un déséquilibre structurel qui existait dès la conclusion
du contrat.
47. CAParis, 28janv. 2009, RTD civ. 2009.529, obs. B. FAGES.
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