Manuel - Droit international pénal - 3e - 240

DROIT INTERNATIONAL PÉNAL
Cour en la matière. L'hypothèse est certes limitée puisque la CPI ne pourrait
s'intéresser qu'àun acte d'agression commis par une partie sur le territoire
d'une autre ayant accepté les amendements relatifs au crime d'agression -
et qu'il faudrait compter avec l'ingérence possible du Conseil de sécurité.
Pour autant, l'option devrait être sérieusement envisagée par les puissances
interventionnistes. Et l'effet médiatique de telles déclarations d'opting out ne
serait certainement pas très heureux. Elles pourraient fragiliser les discours
légitimant des opérations extérieures dont la conformité au jus ad bellum est
plus que douteuse (opérations Chammal ou Hamilton, par exemple275
). La
France s'est en tout cas résolument engagée dans ce « combat » pour le
droit, bel exemple d'exercice de sa politique juridique extérieure. Et la lecture
« restrictive » paraît l'avoiremporté surla lecture « extensive ».
En dernier lieu, le Conseil de sécurité doit être sollicité et son positionnement
affecte la procédure engagée. Il s'agit ici d'une victoire des membres
permanents du Conseil qui renforce le décalage déjà observé dans le droit
commun desautres crimesselon l'originedu renvoi (pas deconditions préalables
à la compétence - art. 12-2 - lorsque l'initiative vient du Conseil de
sécurité). Les articles 15 bis-6 à 8 répondent il est vrai à cette nécessité d'ordonner
les compétences de la CPI avec celles de l'ONU en matière d'agression.
C'est un régime un peu hybride qui est finalement adopté. Le procureur
a bien la possibilité d'ouvrir une enquête dans une situation où un crime
d'agression a été commis mais à la suite d'une procédure particulière qui
mobilise le Conseil de sécurité. Celui-ci dispose en quelque sorte du privilège
du préalable. Le procureur est ainsi tenu d'informer le Conseil que les conditions
sont selon lui réunies pour ouvrir une enquête. Il doit ensuite attendre
jusqu'à sixmois que le Conseil puisse constater à son tour qu'un acte d'agression
a bien été commis. En d'autres termes, un organe politique (le Conseil
de sécurité de l'ONU) doit conclure dans le même sens qu'un organe judiciaire
(le procureur de la CPI). Si le Conseil constate bien l'existence en l'espèce
d'un acte d'agression, alors le procureur peut ouvrir une enquête276
.Si le
Conseil ne fait pas un tel constat, le procureur peut ouvrir une enquête mais
à la double condition que le Conseil de sécurité n'ait pas pris une résolution
sur le fondement de l'article 16 du Statut de Rome (sursis à enquêter ou à
poursuivre) et que la Section préliminaire ait autorisé une telle enquête
(art. 15 bis-8). La première de ces conditions est, somme toute, assez banale
dans la mesure où une telle possibilité de suspension est également possible
pour d'autres enquêtes ou poursuites. On peut simplement penser que le
Conseil sera davantage tenté d'yrecourir, s'il n'est pas d'accord avec les
conclusions du procureur. La seconde condition est spécifique car elle s'applique
quelle que soit l'origine du renvoi (pas seulement proprio motu mais
égalementsi un Étatpartie est à l'initiative) et mobilise non pas une chambre
275. V. notamment J. FERNANDEZ et J. B. JEANGÈNE VILMER (dir.), Les Opérations extérieures de la France,Paris,
CNRS éd., 2020, 335 p.
276. À l'instar de la procédure prévue pour les autres crimes qui relèvent de la compétence de la Cour,
l'autorisation d'une chambre préliminaire est-elle ici nécessaire si le renvoi vient de l'initiative du procureur
lui-même ? On peut en douter à la lecture de l'article 15 bis-7 (« Lorsque le Conseil de sécurité a constaté
un acte d'agression, le procureur peut mener l'enquête sur ce crime »).
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