Manuel - Droit international pénal - 3e - 70

DROIT INTERNATIONAL PÉNAL
précédents sur lesquels compter. Les problématiques liées à la mise en
œuvre concrète de la responsabilité pénale individuelle dans l'ordre international
devaient être imaginées et expérimentées. Le Tribunal, au prix
de tâtonnements multiples et de la révision continue de ses pratiques,
finit par proposer un premier modèle de procédure pénale internationale.
Il s'imposa comme une référence dans l'interprétation des éléments
constitutifs des crimes de droit international, des modes de responsabilité,
des droits de la défense, de la protection des témoins, du plaidoyer
de culpabilité, des pouvoirs du procureur, des questions d'immunité, etc.
Le TPIY a notamment su dépasser le manque de clauses spécifiques sur
les crimes sexuels dans son statut et prendre en compte la prégnance de
ce type de violences dans les conflits en ex-Yougoslavie puisque près d'un
accusé sur deux devait répondre de tels actes53
.C'est enfin toute une communauté
de juristes et praticiens qui a grandi avec ce Tribunal et qui sert
désormais d'autres juridictions locales ou internationales.
44. Le TPIY a eu sa part de ratés et de réussites. Les regrets renvoient
principalement à la mort en détention, juste avant les conclusions de son
procès, de Slobodan Milošević (2006), président de la République fédérale
de Yougoslavie et premier chef d'État en exercice accusé de chefs de crimes
de droit international par un tribunal dans l'ordre interétatique. Son
transfert au TPIY (2001) - après sa défaite électorale - avait pourtant
grandement contribué au rayonnement de l'institution. De même, le
décès avant que le TPIY ne puisse l'inculper de Franjo Tudjman (1999),
ancien président nationaliste de la Croatie, n'a pas contribué à faire toute
la lumière sur les responsabilités des différentes parties. On peut plus
généralement déplorer les lenteurs du Tribunal54
et son incapacité à
faire pleinement son œuvre s'agissant du siège de Vukovar (1991) ou
des crimes de l'Armée de libération du Kosovo (UÇK), par exemple. Certaines
de ses décisions, comme l'acquittement du général croate Ante
Gotovina (2012) puis celui du leader ultranationaliste serbe Vojislav Šešelj
(2016 - mais que le Mécanisme résiduel condamnera en appel) auront
étonné nombre d'observateurs. En d'autres termes, le TPIY a aussi engendré
son lot de frustrations et de colères. Il n'est pas parvenu à incarner
une justice légitime aux yeux des différentes communautés impliquées :
croates, serbes ou bosniaques55
. Sa clôture sur le suicide en direct de Slobodan
Praljak à l'annonce du dernier verdict du Tribunal n'aura pas
contribué à rehausser son image publique56
.
53. V. par exemple TPIY, Furundžija, jugement, préc. ; TPIY, Kunarać et consorts, IT-96-23-T & IT-96-23/1T,
jugement, 22 févr. 2001 ; TPIY, Stakić, IT-97-24-T, jugement, 31juill. 2003 ; ou TPIY, Krstić, IT-98-33-A,
arrêt, 19 avr. 2004.
54. Au-delà d'une procédure en perpétuel chantier, il est vrai qu'il fallait aussi prendre le temps d'identifier
les différents charniers et de remonter les chaînes de responsabilités.
55. Les Serbes ont souvent estimé qu'ils avaient été davantage visés que les autres communautés. Mais les
crimes commis par les autres parties, qui n'avaient pas à l'origine la puissance de l'administration de Belgradeet
nedisposaient pas d'armes en quantité suffisante, étaient souvent de plus petite échelle.
56. Le 29 nov. 2017, SlobodanPraljak s'estsuicidé en avalantun liquide mortel pendantl'audience publique
consacrée au prononcé de l'arrêt et alors que la chambre d'appel du TPIY confirmait sa culpabilité comme
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