Manuel - Droit international pénal - 3e - 95

Trois générations de tribunaux spécifiques
victimes, de Human Rights Watch ainsi que d'autres associations. Surtout,
différentes juridictions internationales ont efficacement pressé le Sénégal
de poursuivre le « guerrier du désert » déchu166
. Le Statut, conclu quelques
mois après l'élection de Macky Sall, énonce que les CAE possèdent « un
caractère international » et appliquent, entre autres, « le droit pénal
international »167
. Précisément, le Sénégal a opté pour l'institution de quatre
chambres spéciales : une d'instruction rattachée au Tribunal régional
Hors Classe de Dakar ; une d'accusation, une d'assise et une d'appel rattachées
à la Cour d'appel de Dakar. L'article 4 de son statut constitutif,
annexé à l'accord du 22 août 2012 entre le Sénégal et l'Union africaine,
prévoit que la compétence matérielle des CAE se limite aux crimes de
génocide, crimes contre l'humanité, crimes de guerre et à la torture. L'accent
mis sur cette dernière incrimination et la volonté de la détacher des
éléments contextuels exigés pour la qualification des précédentes, s'expliquait
par les pratiques du régime Habré en la matière. Ces chambres ont
finalement jugé une seule des six personnes que le procureur souhaitait
inculper168
. Idriss Déby, ancien commandant en chef des forces armées
.Il n'en
pendant le « Septembre noir » (1984) et dirigeant du Tchad de 1990 jusqu'à
sa mort en 2021, n'aura jamais été inquiété par ce Tribunal169
demeure pas moins que le procès de l'ancien chef d'État Hissène Habré,
conduit avec une célérité bienvenue, représente un puissant symbole et
une avancée remarquable pour les victimes des sévices de son
166. Il faut d'abord citer un arrêt contestable de la Cour de justice de la Communauté économique des
États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), rendu le 18 nov. 2010, qui considère que la règle de non-rétroactivité
des lois pénales pourrait être violée par la modification du Code pénal sénégalais intervenue en 2007 -
afin de permettre au Sénégal d'engager des poursuites sur le fondement de la Convention contre la torture.
Une telle position revient, entre autres, à justifier un manquement continu à plusieurs dispositions de la
convention, opposable au Sénégal, par des carences internes pourtant déraisonnables au regard de plaintes
déposées depuis plus de dix ans. Il n'empêche, la Cour a estimé que la procédure contre Hissène Habré ne
pouvait être menée que devant une juridiction ad hoc à caractère international, v. CEDEAO, Habré,
ECW/CCJ/APP/07/08, 18 nov. 2010. Ensuite, un arrêt de la CIJ du 20juill. 2012, considère que la République
du Sénégal, en ne procédant pas immédiatement à une enquête préliminaire en vue d'établir les
faits relatifs aux crimes qui auraient été commis par M. Hissène Habré, a manqué à l'obligation que lui
impose l'article 6 de la Convention contre la torture et estime, à l'unanimité, « que la République du Sénégal
doit, sans autre délai, soumettre le cas de M.Hissène Habré à ses autorités compétentes pour l'exercice
de l'action pénale, si elle ne l'extrade pas », v. CIJ, Questions concernant l'obligation depoursuivre ou d'extrader
(Belgique c. Sénégal),arrêt,20juill. 2012, Rec. 2012, p. 422.
167. Accord entre le gouvernement de la République du Sénégal et l'Union africaine sur la création de
Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises, Dakar, 22 août 2012,
v. [http://www.chambresafricaines.org/]. L'autorisation de ratifier cet accord fut donnée à la fin de l'année
2012 et les Chambres inaugurées début 2013.
168. Le parquet avait aussi requis l'inculpation de cinq responsables du régime Habré : SalehYounous et
Guihini Korei, deux anciens directeurs de la Direction de la Documentation et de la Sécurité, Abakar
Torbo, ancien régisseur du service pénitencier, Mahamat Djibrine dit « El Djonto », l'un des « tortionnaires
les plus redoutés du Tchad » selon la commission d'enquête tchadienne et ZakariaBerdei, ancien
conseiller spécial à la sécurité de la présidence. Ils furent toutefois jugés au pays ou contraints à l'exil.
169. L'article 3 de son statut précisait que « [l]es Chambres africaines extraordinaires sont habilitées à poursuivre
et juger le ou les principaux responsables des crimes [...] » (nous soulignons). En juill. 2013, le procureur
avait ainsi requis l'inculpation de 5 autres officiels dont « El Djonto » et deux anciens directeurs de la
tristement célèbre DDS. Mais le Tchad a refusé de les extrader, même s'il a jugélui-mêmedeuxde ces
individus. L'article 10 rappelait également que « la qualité officielle d'un accusé, soit comme Chef d'État
ou de Gouvernement, soit comme haut fonctionnaire, ne l'exonère en aucun cas de sa responsabilité
pénale [...] ».
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http://www.chambresafricaines.org/

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