Revue Droit & Littérature - Revue Droit et Littérature N°8-2024 : La rhétorique - 215

Le thème
désigner un mot, une situation ou encore un élément, par une autre expression permettant un
rapprochement, est l'occasion de beaux artifices oratoires, ce qui ne manque pas d'offrir de l'éclat
à la rhétorique. Du reste, ses potentialités sont vastes. En effet, « la source des métaphores est infinie.
La nature n'a point de chose dont le nom ne puisse servir d'image à une autre chose »12
somme, on voit bien que la métaphore n'est pas loin de la comparaison13
certains littérateurs déjà cités, une « comparaison abrégée »14
avance, feutrée, sans se dévoiler franchement.
. En
; elle est d'ailleurs, pour
, en tout cas une comparaison qui
3. - L'on comprend aisément les raisons de l'heureuse fortune que connaît dans la langue
française la métaphore15
. Elle revêt d'indiscutables caractéristiques esthétiques ; elle embellit
la langue et sophistique le propos du locuteur. Le discours est fleuri ; il gagne en qualité.
Cette esthétique du verbe renforce ce que dit l'orateur et vient à l'appui de sa démonstration.
Comme le souligne l'abbé Breton, « la métaphore contribue à donner plus de force à l'expression,
& à faire entrer les esprits dans le fond de la pensée »16
. Cette vision esthétique, comme
participant d'une meilleure conviction, ressort bien des travaux de Piron, selon lequel, « la
métaphore remplit pour ainsi dire toutes les langues ; elle les ennoblit toutes, et leur prête
une richesse qu'elles n'ont point » et « de toutes les figures du discours, aucune n'approche
autant de la peinture que la métaphore (...) »17
. Mais la fonction du processus métaphorique
ne saurait cependant se limiter à une perspective esthétique de nature à convaincre. Elle revêt
aussi une dimension pédagogique, sans nécessairement se préoccuper d'un quelconque idéal
du beau. La métaphore permet de mieux comprendre, de saisir immédiatement un élément,
notamment grâce à l'analogie qu'elle véhicule. Toujours selon Piron, « (...) son effet particulier
est de donner aux descriptions de la force et de la clarté, de rendre les idées intellectuelles
en quelque sorte visibles à l'œil, en leur prêtant des couleurs, de la substance et des qualités
sensibles »18
. La métaphore explique ; elle devient le moyen de mieux saisir un concept. Cette
dualité fonctionnelle de la métaphore n'est évidemment pas tranchée et la dimension esthétique
n'est pas exclusive de la dimension pédagogique, loin de là. Mais l'une peut fort bien
aller sans l'autre.
4. - Et le droit dans tout cela ? La matière juridique est-elle concernée par le processus métaphorique
? D'aucuns ont déjà fait observer que le droit pourrait ne pas sembler, au moins au
premier abord, recourir à la métaphore. Après tout, « n'est-ce pas commettre un contresens que
d'imaginer que la métaphore puisse jouer un rôle dans une discipline et une technique qui exigent
autant de rigueur que le suppose a priori, dans la langue française, le mot même qui désigne
12. Abbé Breton, De la Rhétorique selon les préceptes d'Aristote, de Cicéron et de Quintilien, avec des Exemples tirez des Auteurs sacrez & Profanes tant
Anciens que Modernes. Divisé en trois livres, Paris, chez Grégoire Dupuis, 1703, p. 269.
13. B. Gibert, op. cit., p. 442. Stefan Goltzberg fait observer que « la métaphore est souvent définie comme une comparaison sans
marqueur de comparaison » : S. Goltzberg, L'argumentation juridique, Dalloz, coll. « Connaissance du droit », 2021, p. 117.
14. B. Jullien, op. cit., p. 45 ; v. égal. E. Littré, Dictionnaire de la langue française, Librairie Hachette et Cie, 1874, T. 3, p. 538.
15. Ce qui, du reste, est somme toute curieux ; en effet, comme le remarquait Ricœur, « le paradoxe historique du problème de la
métaphore est qu'il nous atteint à travers une discipline qui mourut vers le milieu du xixe
siècle, lorsqu'elle cessa de figurer dans le
cursus studiorum des collèges » : P. Ricœur, La métaphore vive, Seuil, coll. « Points », 1975, p. 13.
16. Abbé Breton, op. cit., p. 265.
17. A. Piron, Cours complet de littérature à l'usage des séminaires et des collèges, rédigé d'après les meilleurs critiques, Paris, Lecoffre et Cie, 3e
1881, § 210, p. 135.
18. Ibid.
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