Revue Droit & Littérature - Revue Droit et Littérature N°8-2024 : La rhétorique - 244

VARIÉTÉS
qui ne sont d'ailleurs compromis que par le mensonge. Car nous en sommes là. Il ne suffit
plus de dire un chrétien. Il faut dire " un chrétien qui ne ment pas " , même par omission, qui
donne la vérité tout entière, ne la donne pas mutilée. Que cette seconde chevalerie commence
par sauver l'honneur. Et puisque le mot lui-même a perdu son sens, qu'elle sauve
l'honneur de l'Honneur »116
?
***
À suivre Monique Gosselin-Noat : « Le regard chrétien et catholique que Bernanos porte sur
le monde n'est jamais mièvre : il ne se leurre pas sur lui ; il ne porte pas sur lui celui, optimiste
et béat, de certains dévots qu'il apparente aux " imbéciles " . Il s'indigne, prend à partie ; il ironise
sur ce xxe
siècle enivré par le mythe du progrès hérité du xixe
, grisé par les découvertes technologiques,
qui prétend être dominé par la seule science rationnelle sans être toujours raisonnable,
mais l'est en fait par la technique qui, au faîte de sa puissance, pourra tout anéantir. Il tient les
totalitarismes pour des caricatures ou des ersatz de religion »117
. À ce titre, l'auteur mérite assurément
le titre de « parrhesiaste », par son courage de dire ce qu'il pense vraiment, sans se servir
de la rhétorique à laquelle il s'oppose car il cherche autant que possible à éviter le raisonnement
abstrait du philosophe ou du théologien dont il craint le discours exsangue. Comme sujet parlant,
il désire lancer des paroles vivantes, incarnées où vibre sa personnalité tout entière118
. Plus que
des mots sur du papier, l'honneur exige de l'action, et loin d'être une idée philosophiquement
abstraite, la conception de l'honneur chez Bernanos se manifeste dans le temps, en prenant des
positions équitables et en se positionnant pour ou contre : « L'honneur n'est pas pour lui une
valeur entre d'autres, pas même une valeur importante, mais la valeur fondamentale, celle sans
quoi ni les actes de ceux qui les remplissent n'auraient jamais ni dignité personnelle ni éclat moral,
manqueraient de toute grandeur et de ce qui fait de l'homme une véritable image de Dieu »119
.
L'honneur bernanosien pourrait alors se définir comme « l'acceptation des devoirs et des risques
découlant de notre condition d'hommes et comme la reconnaissance de la valeur que nous avons
en tant qu'être créés par Dieu. Bernanos y voit, par là même, la plus sûre des garanties contre ce
mépris ou cette haine de soi qui inspire identiquement le cynisme et l'angélisme »120
. En ce sens,
l'honneur selon Bernanos consisterait à s'aimer suffisamment pour ne pas commettre des actes
qui nous rendraient haïssable à notre propre conscience121
pu affirmer qu'« en un temps où la force est crainte et haïe, c'est quelque chose, ce n'est pas rien,
de tirer son droit, non de la force, mais de la fidélité et de l'honneur »122
. Ce n'est pas pour rien que l'auteur a
. En somme, l'honneur se
trouverait là où le temporel toucherait l'éternel et ferait appel à l'incarnation même puisque « la
vocation de la France consiste à remplir une triple mission : sauver son patrimoine national dans
116. Georges Bernanos, Scandale de la vérité [1939], op. cit., p. 612-613.
117. Monique Gosselin-Noat, Bernanos. Militant de l'éternel, op. cit., p. 118.
118. Sven Storelv, Péguy/Bernanos, Didier Érudition, 1993.
119. Hans Urs von Balthasar, Le chrétien Bernanos, Parole et silence, 2004, p. 504.
120. Max Milner, op. cit., p. 360.
121. Christophe Pérez, « Georges Bernanos et l'exil intérieur », in Danièle Sabbah (dir.), Écritures de l'exil, op. cit., 2009, p. 223. Ainsi,
l'absence d'honneur qui caractérise Monsieur Pernichon, dans L'Imposture, le conduit à une haine de soi, celle-ci n'étant rien d'autre
qu'une inadéquation avec l'unité de sa propre individuation, c'est-à-dire une séparation de l'âme et du corps.
122. Georges Bernanos, Nous autres, Français, op. cit.
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