Revue Droit & Littérature - Revue Droit et Littérature N°8-2024 : La rhétorique - 255

VARIÉTÉS
parties dans 91 dossiers. Le contrôle des Intendants39
en développement au xviiie
siècle apparaît
clairement : ils sont cités expressément dans 7 procédures.
Joseph de Maistre, magistrat philanthrope est attentif à la pauvreté des justiciables des montagnes
et campagnes de Savoie. Face à un seigneur qui réclame dans les Arves aux communautés
de Saint-Sorlin et de Saint-Jean des indemnités pour des communaux d'origine seigneuriale
qu'elles possèdent, le substitut rappelle « la nullité civile du peuple depuis le xe
.
Il remarque « cette espèce d'hommes qui n'ont d'autres biens que leurs bras » (pour refuser le principe
d'une taxe sur le travail)41
, « les pauvres qui ont tout contre eux »42
.
Il dénonce « la conjuration ordinaire des riches contre les pauvres »43
, « le scandale dans l'ordre judiciaire,
qu'on puisse disputer à un pauvre (aubergiste) pendant plus de deux ans le prix de la nourriture qu'on a prise
chez lui »44
. Cinq ans auparavant le substitut dans son discours de l'audience de rentrée, du Sénat
consacré à la Vertu du magistrat ne proclamait-il pas : « Que l'infortune et l'indigence trouvent auprès de
nous la protection, le soulagement et la paix ! N'allons pas faire consister la vertu dans une indifférence stoïque qui
ferme les cœurs ! »45
?
De Maistre n'est pourtant pas naïf, déplorant « la brigue, la jalousie et les petites haines particulières
dont les Communautés sont trop souvent les victimes »46
même sans intérêt »47
. Il peut rappeler la duplicité de certains laboureurs. Dans un procès entre la
paroisse de Chevelu et le Marquis de Yenne à propos de redevances seigneuriales et l'affouage,
le substitut demande dans ses conclusions à la Communauté d'écarter l'intervention à ses côtés
de Vincent Dupraz dit Michaille, pour représenter son hameau, « homme à l'esprit bouillant qui peut
très bien engager mal à propos ses commettants dans quelque fausse demande... Il ne doit pas mêler ses intérêts
particuliers à ceux de la Communauté »48
. Il est vrai que de Maistre requérait au même moment au
criminel contre ce favetier, condamné par le Sénat le 10 décembre 1776 à une peine de prison
et à faire amende honorable dans une procédure pour lèse-majesté et injures contre le marquis
de Yenne49
.
Dans ses conclusions, le substitut évoque de nombreux détails de la vie rurale.
39. R. Verdo, « Les attributions des Intendants sardes en Savoie au xviiie siècle », Revue Historique Droit Français et Étranger, vol. 90, oct./
déc. 2012, p. 537 à 540.
40. Conclusions du 20 octobre 1785.
41. Conclusions du 27 juin 1880.
42. Conclusions du 18 avril 1782, même année que le Mémoire adressé au duc de Brunswick qui invite le maçon à la bienfaisance, à faire
le bien et soulager les malheureux in J. de M., Écrits maçonniques, éd. Slatkine, Genève, 1983, p. 102-103.
43. Conclusions du 11 février 1781.
44. Conclusions du 11 mai 1782.
45. Mercuriale du 1er
décembre 1777 in Fr. Descostes, Joseph de Maistre orateur..., Lib. Perrin, Chambéry, 1896, p. 26.
46. Conclusions du 4 juin 1776.
47. Conclusions du 24 mai 1785 (Contestation portant sur la place d'un banc dans l'église d'Hauteville).
48. Conclusions du 23 septembre 1776 et 20 avril 1777.
49. ADS 2B 14460, J.-A. Lathoud, « Le favetier en colère, le marquis intraitable et le substitut éclairé : un dossier criminel du Sénat
de Savoie en 1776 », Revue Histoire de la Justice 2021, n° 32, éd. la Documentation française, p. 237 à 253.
Droit & Littérature - Numéro 8 253
et quelquefois « un esprit de parti sans droit et
siècle jusqu'à l'établissement
des communes ; comment les serfs placés un peu au‑dessus des animaux dont ils remplaçaient souvent les services...
sans état civil, sans force, sans représentation ils n'avaient comme corps que ce qu'on leur donnait... »40

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