Revue Droit & Littérature - Revue Droit et Littérature N°8-2024 : La rhétorique - 300

VARIÉTÉS
Dans les actions londoniennes, la description est plus diverse. Le Pouvoir est d'abord identifié
. La première abstraction, le « maître des maîtres », c'est l'État54
. Ce dernier agit dans son
aux abstractions politiques les plus importantes puisqu'il est distingué du capital et des privilégiés53
propre
intérêt et non au nom de l'intérêt commun ; dénonciation classique des anarchistes contre
l'État, le pouvoir viciant dès l'origine toute organisation par sa verticalité et la hiérarchie qu'elle
induit. Et c'est bien dans cette verticalité que s'inscrit l'État qui n'est que le maître des autres
détenteurs subalternes de pouvoirs évoqués ailleurs dans le roman : exploiteurs (patrons), agents
de police, juges ; pour n'en citer que quelques-uns. Cet État, pour l'autrice, n'agit, toujours dans
son intérêt, que de deux manières vis-à-vis des misérables : les réduire en policier, ou plus largement
en partisan/défendeur de l'État ou les considérer comme des producteurs pour les maîtres
subalternes, des esclaves modernes55
.
C'est que l'État est aussi représenté dans le roman par ses agents et en premier lieu le « policeman
» anglais. À la différence de son équivalent russe56
fait l'objet d'un traitement partiellement comique : il est bête57
discernement, manque de lucidité dans l'exercice de sa fonction59
ment60
, celui-ci, bien que représentant de l'ordre,
. Cette bêtise est le résultat de la
discipline imposée aux agents. Cette discipline vise à défendre l'ordre étatique. Or, pour Louise
Michel, toute personne intelligente, n'aurait aucun intérêt à défendre une organisation qui restreint
sa liberté en tant qu'homme58
. Même sans intelligence de l'esprit, le policier, incapable de
et est mis en échec régulière.
Les membres du Parlement sont singés sur le même plan : ils ne feraient que répéter les
ordres de la Couronne ou du gouvernement sans la moindre intelligibilité de ce qu'ils racontent61
.
Le juge, au contraire, n'est pas dépeint dans cette béate impuissance. Il est alors, peut-être,
le bras armé le plus menaçant de l'État : il incarcère. Lui sait exactement ce qu'il fait et représente,
dans cette partie du roman, l'arbitraire d'État. Les miséreux sont « à la merci du juge »,
qui fait preuve d'inhumanité en jugeant « sa propre femme », qu'il feint de ne pas reconnaître62
.
53. Ibid., p. 147.
54. Ibid., p. 115 : « l'intérêt du maître seul est satisfait [par la division du travail], il faut, dans l'intérêt de l'État, maître des maîtres,
changer la moitié des misérables en troupeau de produit, l'autre moitié en chiens de chasse et de garde ».
55. Ibid., p. 115 : « Dans une société que même J-B. Say accuse d'annihiler l'individu en faisant produire à chacun plus vite et mieux
une seule chose - de sorte que l'intérêt du maître seul est satisfait ». L'autrice cite le Traité d'économie politique, liv. I, chap. viii (éd. Paris,
Economica, 2006, p. 145).
56. Sur celui-ci, v. R. Broussais, « Diffuser l'anarchisme par la fiction », loc. cit.
57. L. Michel, La Chasse aux loups, op. cit., p. 104 : « De la non-arrestation du justicier [Ebenezer] pouvait dépendre, disaient ces gens
clairvoyants, qui gobent toutes les bourdes, une guerre générale. Cette guerre, ils eussent été tous bien embarrassés de comprendre
pourquoi et comment c'était l'aiguillon qui poussait sans relâche les policiers, gens d'ordinaire bornés (s'ils étaient intelligents, ils ne
feraient pas ce métier-là) ». Louise Michel elle-même a déjà ridiculisé la police, cf. V. Fau-Vincenti, « Michel, Louise », loc. cit. : « En
juin 1883, elle le fut lourdement punie à la suite d'une manifestation de chômeurs qui avait réuni le 9 mars, près de 15 000 personnes
aux Invalides. Cette manifestation, placée sous le cri de " du travail ou du pain " , fut suivie du pillage de quelques boulangeries. On
assurait que Louise Michel était à la tête des séditieux, un drapeau noir en main. Au terme d'une rocambolesque traque de près de
trois semaines, Louise Michel se livra elle-même, ridiculisant le préfet de police de Paris ».
58. L. Michel, La Chasse aux loups, op. cit., p. 114 : « À travers tout cela [les miséreux] rôdent et s'appellent au moyen du sifflet traditionnel
des policemen, [...] dont la consigne est, comme partout, que l'extrême misère doit faire soupçonner de tous les crimes et
que l'idéal de l'honnêteté est l'obéissance aux ordres des supérieurs sur tous les degrés de l'échelle hiérarchique. Là du reste, comme
ailleurs, la discipline broie l'intelligence ; il ne reste à l'homme que les qualités du chien ».
59. Ibid., p. 121 : « La police était moins lucide encore, et plus que de coutume ».
60. Ibid., p. 142 : « Comme de coutume, la police n'avait rien trouvé ».
61. Ibid., p. 146 : « Il savait lire, il comprendrait plus tard. - Il savait lire tout comme un membre du Parlement. ».
62. Ibid., p. 140-142.
298 Droit & Littérature - Numéro 8
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