Revue Droit & Littérature - Revue Droit et Littérature N°8-2024 : La rhétorique - 356

Chroniques
démonstration de leur exactitude. L'exigence voulant que soit établie la vérité de jugements de valeur
est irréalisable et porte atteinte à la liberté d'opinion elle-même, élément fondamental du droit garanti
par l'article 10. Toutefois, même lorsqu'une déclaration équivaut à un jugement de valeur, elle doit se
fonder sur une base factuelle suffisante, faute de quoi elle serait excessive »13
quelque sorte...
. Pas de « libre délire » en
Concrètement, tout cela implique une démarche complexe : examiner « la contribution des éléments
litigieux à un débat d'intérêt général, le comportement antérieur et la notoriété des requérants, l'objet
du livre, du documentaire et de l'entretien et le mode d'obtention des informations ainsi que le contenu
des affirmations litigieuses, leurs répercussions et les circonstances particulières de l'espèce »14
programme...
. Vaste
Je retiendrai ici deux choses.
D'abord, s'agissant de la distinction faite par la Cour entre données factuelles et jugements de valeur, la
Cour, bien que considérant que les affirmations figurant dans l'ouvrage aient constitué des jugements
de valeur, va estimer qu'ils étaient fondés sur une base factuelle suffisante, eu égard au fait que « les éléments
sur lesquels se fonde la thèse défendue [...] sont ceux qui ont été recueillis au cours de l'enquête
et qui ont été portés à la connaissance du public »15
soit acceptable.
- base factuelle suffisante pour que l'affirmation
Ensuite, quant à la balance à établir entre impératifs a priori contradictoires, la Cour va déclarer que,
la publication de l'ouvrage étant intervenue après le classement de l'enquête, seule pouvait se poser
la question de l'atteinte à la réputation des parents désignés dans l'ouvrage. Mais ici encore le contexte
joue un rôle particulier et tout particulièrement le fait que, si la réputation des requérants avait été
atteinte, « ce n'est pas à cause de la thèse défendue [dans l'ouvrage] mais à cause des soupçons qui
avaient été émis à leur égard »16
.
Conclusion : « Il n'apparaît donc pas que les autorités nationales eussent manqué à l'obligation positive
qui leur incombait de protéger le droit des requérants au respect de leur vie privée, au sens de l'article 8
de la Convention »17
.
Conclusion pour nous : la liberté d'expression va très loin et autorise des écrits a priori hautement problématiques
mais un arrêt comme celui examiné n'est pas d'un grand secours pour un écrit proprement
littéraire qui ne serait pas conçu comme partie d'un débat d'idées comme répondant à une thèse donnée.
Ce n'est pas dire que la confrontation entre liberté d'expression et respect dû à la vie privée ne soit
pas une question cruciale mais c'est dire qu'il faudra sans doute l'examiner en ayant présente à l'esprit
l'affirma tion des juges versaillais selon laquelle « la liberté de création littéraire [...] s'apprécie plus strictement
que la liberté d'informer ». Il n'est pas certain que les auteurs s'y retrouvent facilement...18
13. Point 82.
14. Point 84.
15. Point 93.
16. Point 96.
17. Point 101.
18. Un mot encore sur l'atteinte à la présomption d'innocence. Les parents mis en cause avaient en effet fait valoir, comme on
l'a vu, une atteinte à leur réputation, à leur crédit et à leur « droit à la présomption d'innocence ». La Cour allait dissocier les deux
chefs de demande. S'agissant du second, elle rappelle que « la présomption d'innocence se trouve méconnue si une déclaration
officielle concernant un prévenu reflète le sentiment qu'il est coupable, alors que sa culpabilité n'a pas été préalablement légalement
établie ». Mais elle met aussi en avant un « second aspect », dit-elle, de cette présomption qui est « d'empêcher que des
individus qui ont bénéficié d'un acquittement ou d'un abandon des poursuites soient traités par des agents ou autorités publics
comme s'ils étaient en fait coupables de l'infraction qui leur avait été imputée ». C'est dire que celui qui a échappé à la sanction
pénale jouit encore d'une protection de la loi. Pour la Cour, cela signifie que celui qui entend faire valoir une atteinte à la présomption
d'innocence doit « démontrer l'existence d'un lien [...] entre la procédure pénale achevée et l'action subséquente ».
Elle va se livrer à cet examen pour déterminer si la motivation de l'arrêt de la Cour suprême portugaise ne justifiait pas ce grief.
Mais, du point de vue qui nous occupe, celui de la liberté de l'écrivain/écrivant, le point qui mérite attention est selon moi cette
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