Revue Droit & Littérature - Revue Droit et Littérature N°8-2024 : La rhétorique - 368

Chroniques
s'avèrent impuissants à nous livrer : l'angoisse du crime, et la violence du châtiment »9
. Il avait conscience
,
,
que « bien des ouvrages, de la tragédie grecque au roman contemporain, ont choisi le crime pour sujet »10
tout comme le châtiment, en raison notamment de leurs ressorts potentiellement spectaculaires.
Le spectacle de la peine de mort a ainsi été dénoncé par tous les abolitionnistes, à commencer par
Beccaria qui constatait en 1764 que « pour la plupart des gens, la peine de mort est un spectacle »11
mais aussi remarquablement près de deux siècles plus tard par Camus (après son ami Koestler12
écrits politiques et militants, ses fictions et ses encres14
) qui
a si bien décrit les réactions physiques et répercussions morales dudit spectacle public, acmé de ce
« meurtre légal »13
et avant lui le « grand » Hugo, qui exprimait sa conviction inébranlable à travers ses
.
Qui mieux que Robert Badinter, rare juriste à pouvoir enflammer n'importe quel auditoire, d'un amphithéâtre
d'étudiants à une assemblée de parlementaires, en passant par un prétoire, pouvait mieux
comprendre que malgré tout, le droit peut difficilement produire ou susciter en tant que tel l'émotion ?
La fameuse catharsis produite par le spectacle vivant n'a pas d'équivalent dans l'énoncé d'une règle juridique15
.
Transposer à l'opéra une nou.
Parmi tous les arts, l'opéra et le théâtre sont les plus à même de susciter les passions. Il suffit
d'avoir écouté une fois le Salve Regina et le Veni Creator de Dialogues des Carmélites de Poulenc, et vu
ou imaginé les religieuses montant à l'échafaud dont chaque voix s'éteint tour à tour au couperet de
la guillotine, pour comprendre que « les larmes peuvent venir à l'audition d'un morceau de musique,
beaucoup plus rarement, sinon jamais, à la lecture d'un article du Code »16
velle (Claude Gueux) de l'admiré Hugo fut la seconde occasion pour Robert Badinter d'utiliser l'art pour
convaincre17
, avec la particularité que la nouvelle s'inspirait d'un fait réel, d'un canut incarcéré à Clairvaux
où il commit un assassinat, prison où se déroula le meurtre imputé à Buffet et Bontemps en 1971.
La troisième fut le théâtre.
Robert Badinter aimait le théâtre parce qu'il « est une des formes supérieures de l'expression des drames
humains »18
artistes20
, un « lieu d'enchantement »19
, et après avoir beaucoup fréquenté ses salles et de nombreux
, il s'était recentré sur les textes et leur lecture, et vint l'âge, le temps et le désir finalement de se
9. Robert Badinter, « Sous le signe de Caïn » in : Jean Clair (dir.), Crime & Châtiment, catalogue de l'exposition, éd. Gallimard et
Musée d'Orsay, 2010, p. 12.
10. Ibid., p. 11.
11. Cesare Beccaria, Des délits et des peines, Gallimard, Bibliothèque de Philosophie, 2015, XXVIII.
12. Arthur Koestler, Réflexions sur la potence, in : Arthur Koestler et Albert Camus, Réflexions sur la peine capitale, Gallimard, Folio
n° 3609, 2002.
13. Albert Camus, Réflexions sur la guillotine, in : Arthur Koestler et Albert Camus, Réflexions sur la peine capitale, op. cit., p. 189. Camus
part du souvenir du bouleversement de son père après qu'il ait assisté en 1914 à une décapitation (p. 143). V. aussi la préface (« L'artiste
en prison ») d'Albert Camus à La Ballade de la Geôle de Reading d'Oscar Wilde (aux éditions Falaize en 1952), dont il est question infra.
14. En plus de ses remarquables dénonciations, notamment dans son fameux ouvrage de 1829, Le dernier jour d'un condamné, et
soutiens aux pétitionnaires abolitionnistes du monde entier, Hugo exprima son indignation dans ses superbes lavis, tels « Ecce »,
« Ecce lex » et « Facit animas deus homo spectra » de 1854, exposés à la maison de Victor Hugo à Paris et reproduits in : du chaos
dans le pinceau... Victor Hugo - dessins, Maison de Victor Hugo, Paris musées, 2010, n° 57, 58, 59.
15. V. Emmanuelle Saulnier-Cassia, « L'interprétation opératique des droits fondamentaux des personnes condamnées : entre
normes juridiques et sensibilité musicale », in : Patricia Signorile (dir.), Entre normes et sensibilité. Droit et musique, coll. Inter-normes,
PUAM, 2017, 18 pages.
16. Norbert Rouland, « La raison, entre musique et droit : consonances » in : Droit & Musique, colloque 23 juin 2000, Presses
Universitaires d'Aix-Marseille, 2001, p. 186.
17. Claude de Thierry Escaich, au livret de Robert Badinter, a été créé à Lyon en septembre 2013. V. : Emmanuelle Saulnier-Cassia,
« Lamento sur Claude ou la représentation opératique des peines du condamné » in : L'exigence de justice. Mélanges en l'honneur
de Robert Badinter, op. cit.
18. Robert Badinter, lors de la rencontre suivant la représentation de sa pièce Cellule 107 à Paris. V. infra.
19. Robert Badinter, Théâtre I, Fayard, 2021, préface, p. 10.
20. « J'ai toujours aimé passionnément le théâtre. Au lendemain de la guerre, j'ai découvert son pouvoir d'envoûtement du
troisième balcon où se juchaient les étudiants. (...) La jeunesse s'est enfuie, mais la passion est demeurée » : Robert Badinter,
Théâtre I, préface, op. cit., p. 9.
366 Droit & Littérature - Numéro 8
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