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A posteriori
loi tout en préservant la rigidité constitutionnelle. Il procède
par une alternance de votes à la majorité simple, qui suffisent
à l'adoption de la loi, et de votes à la majorité qualifiée, requis
par la révision constitutionnelle.
En introduisant ce second type de vote, la démocratie représentative
contemporaine manifeste également sa tendance
« consensualiste ». Loin d'autoriser la majorité à écraser la
minorité, elle encourage - ou, éventuellement, contraint - la
première au compromis. C'est ainsi que « le catalogue des
droits et libertés fondamentaux, jusqu'alors instrument de
protection de l'individu contre l'État, devient un instrument
de protection de la minorité, d'une minorité qualifiée, contre
la majorité simplement absolue » 32
On remarquera enfin que Kelsen entend borner strictement
la « justice constitutionnelle ». Contrairement à nombre de
ses contemporains, il estime que la norme de référence du
juge doit être strictement positive. Un juge constitutionnel
qui s'autoriserait d'un prétendu « droit naturel » pour censurer
la loi se livrerait très certainement à un « subjectivisme »
délétère pour la démocratie 36
. Avec un certain optimisme,
. Or, c'est précisément là
que réside, selon Kelsen, la fonction politique de la justice
constitutionnelle. Lorsque la cour constitutionnelle censure
une loi sur le fondement d'une liberté constitutionnellement
garantie, elle ne se contente pas de protéger l'intérêt des individus
ou des groupes qui en bénéficient. Elle signifie aussi
par sa décision que « certaines questions fondamentales ne
peuvent être résolues que d'accord avec la minorité » 33
. La
majorité est alors confrontée à un choix. Elle peut abandonner
son texte, consacrant ainsi le droit de la minorité. Mais elle
peut aussi présenter une nouvelle mouture de sa loi, plus respectueuse
des intérêts de la minorité. Elle peut, enfin, recourir
à la procédure de révision constitutionnelle, laquelle exige
typiquement un vote à la majorité qualifiée 34
Kelsen pousse le raisonnement plus loin encore. Selon lui, le
constituant devrait se garder d'introduire, dans son catalogue
de droits, des formules trop floues ou des principes trop généraux.
Faute de quoi la juridiction constitutionnelle, « collège
composé d'une façon plus ou moins arbitraire au point de vue
politique » 37
, parviendrait sans peine à imposer sa volonté au
Parlement. Kelsen cherche assurément à prévenir le « déplacement
du pouvoir (...) politiquement tout à fait contre-indiqué
» 38
qui pourrait ainsi s'opérer. On peut cependant douter
que le moyen retenu soit vraiment suffisant. L'expérience
montre que bien des juges ont su tirer les interprétations les
plus inattendues de dispositions réputées pour la clarté et la
sobriété de leur rédaction.
. Dans cette
hypothèse, il lui faut convaincre une partie de la minorité
d'adopter la révision, ce qui supposera vraisemblablement
diverses concessions. Quelle que soit la solution retenue, en
garantissant la rigidité constitutionnelle, la cour encourage
la passation du compromis politique entre la majorité et la
minorité.
Usant de ce qui, dans son esprit, est sans doute une nouvelle
justification conditionnelle, Kelsen estime que la justice
constitutionnelle est un moyen de réaliser la paix sociale. Pour
mieux dire : « Si l'on voit l'essence de la démocratie, non
dans la toute-puissance de la majorité, mais dans le compromis
constant entre les groupes représentés au Parlement par
la majorité et la minorité, et par suite dans la paix sociale,
la justice constitutionnelle apparaît comme un moyen particulièrement
propre à réaliser cette idée » 35
S'il paraît que nul n'est prophète en son pays, il n'est pas certain
qu'on le devienne plus aisément en terre étrangère. À la
fin des années 1920, la contribution de Kelsen fut accueillie
sans grand enthousiasme par la doctrine française. Il est vrai
que, sous la Troisième République, le consensus doctrinal
était diamétralement opposé à celui qui avait cours dans les
pays germaniques. En France, selon une lecture qui remontait
à Tocqueville, le système américain du « judicial review »
était réputé très respectueux de l'autorité législative. En opérant
un contrôle de la constitutionnalité des lois préalable à
leur application, le juge ordinaire ne sortait pas de ses attributions.
Après la Première Guerre mondiale, cette solution
était devenue largement dominante au sein d'une doctrine
française somme toute assez modérée 39
. Bref, le contrôle dif.
Bien entendu, la
théorie pure du droit ne saurait proposer un tel idéal politique
sans se renier. Il n'est pas moins certain que cette conception
de la démocratie comme mécanisme de résorption progressive
du conflit social en général (et de la lutte des classes en particulier)
est typique de la social-démocratie, dont Kelsen est
notoirement proche.
32 H. Kelsen, La Démocratie, sa nature, sa valeur, 1988, Economica, 1929, 2e
trad. C. Eisenmann, p. 58.
éd.,
33 H. Kelsen, « La garantie juridictionnelle de la Constitution (la justice constitutionnelle)
», RDP 1928, p. 253.
34 Où l'on retrouve un raisonnement que la doctrine française qualifie volontiers de
« théorie de l'aiguilleur ».
35 H. Kelsen, « La garantie juridictionnelle de la Constitution (la justice constitutionnelle)
», RDP 1928, p. 253.
fus, qui paraissait une formidable menace pour le législateur
allemand, était d'une parfaite innocuité pour son homologue
français.
En revanche, comme l'écrivait Jèze, « d'une manière générale,
en France, les constitutionnalistes sont opposés à la création
d'une cour de justice spéciale chargée de contrôler la constitutionnalité
des lois » 40
. Cette solution évoquait immanquablement
le Sénat conservateur impérial, lequel n'avait
été qu'un instrument à la main de l'Empereur. On estimait
36 V., en ce sens, les appréciations concordantes de Kelsen, d'Anschütz et de Thoma
in « Die Gleichheit vor dem Gesetz im Sinne des Art. 109 der Reichsverfassung
[Aussprache] », Veröffentlichungen der Vereinigung der Deutschen
Staatsrechtslehrer 1927, n° 3, p. 49 à 59.
37 H. Kelsen, « La garantie juridictionnelle de la Constitution (la justice constitutionnelle)
», RDP 1928, p. 241.
38 H. Kelsen, « La garantie juridictionnelle de la Constitution (la justice constitutionnelle)
», RDP 1928, p. 241.
39 Dans ce sens, G. Jèze, « Le contrôle juridictionnel des lois », RDP 1924, vol. 41,
p. 406 à 407. P. Duez, « Le contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des
lois en France », in Mélanges Maurice Hauriou, 1929, Sirey, p. 211 à 249 (part.
p. 222) ; H. Kelsen, La Démocratie, sa nature, sa valeur, 1988, Economica, 1929,
2e
éd., trad. C. Eisenmann, p. 105.
40 G. Jèze, « Le contrôle juridictionnel des lois », RDP 1924, vol. 41, p. 406.
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