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Recension
un précieux moyen de pression sur l'Église 6
. Émile Combes
lui-même, lors de son arrivée au pouvoir, ne se prononce pas
dans sa déclaration ministérielle sur la séparation des Églises et
de l'État, bien qu'il mentionne « l'esprit d'action républicaine
et de liberté laïque » qui anime le gouvernement 7
. Le combat
des républicains consistera dans un premier temps à limiter les
intrusions du religieux dans la sphère politique.
Le contexte joua un rôle décisif dans la séparation : rupture
des relations diplomatiques avec le Vatican en 1904 et violation
du Concordat, en réalité par les deux parties. Mais cette
loi est avant tout une loi de conciliation et de liberté et les
juges, notamment administratifs, auront un rôle décisif pour
préserver cet esprit.
Pourtant, il n'existe pas encore véritablement, dans les premières
années suivant la loi, de « droit de la laïcité » dans la
mesure où les textes sont épars. La « normalisation » de ce
droit débute en 1919, lorsque les catholiques sont associés au
bloc national. Le Concordat sera maintenu en Alsace-Moselle
et les relations diplomatiques avec le Vatican seront rétablies.
J. Morange relève ensuite une politique d'ouverture réciproque
avec le gouvernement Daladier (1938-1940). En effet,
précisons que le rapprochement avec le pape Pie XII s'accentue
avant la guerre, comme en témoignent par exemple les
décrets de Georges Mandel du 16 janvier 1939 qui permettent
d'établir les régimes des cultes pour les territoires sur lesquels
la loi de 1905 ne s'applique pas (Guyane, Mayotte, SaintPierre-et-Miquelon,
Polynésie Française, Wallis-et-Futuna,
Nouvelle Calédonie et les Terres australes) 8
. Cependant, ainsi
que le soulignait Jean-Marie Mayeur, « la politique religieuse
du gouvernement Daladier n'a pas laissé de souvenir marquant
et la " question religieuse " n'a pas tenu, d'avril 1938
à la déclaration de guerre, une place prépondérante dans la
vie politique et l'esprit public » 9
. L'auteur relevait d'ailleurs
que « la conception ouverte de la laïcité qui s'affirmait depuis
plusieurs années n'était pas toujours mise en pratique ». Cette
conception, qui n'ignore pas les différentes convictions religieuses,
a en revanche été concrétisée par le régime de Vichy
via un certain nombre de mesures. Comme sous la république
6 Pour des extraits de discours de ces personnalités au sujet de la Séparation : JO,
chambre des députés, séance du 6 juin 1889, p. 1290 ; Annales de la Chambre
des députés, séance du 28 mars 1905, p. 1401. Gambetta, dans son discours de
Belleville de 1869, présentant le programme du parti républicain, comprenait la
Séparation ; il abandonnera cette position à la suite de la dissolution de 1877. V.
aussi J. Foyer, « La genèse de la loi de séparation », Arch. philo. droit n° 48/2004,
« La laïcité », p. 75-83.
7 JO, Chambre des députés, séance du 10 juin 1902, p. 1812. Bon nombre de
députés furent d'ailleurs vivement critiqués lors des débats parlementaires sur la
loi de 1905 pour avoir été anti-séparatistes lors des élections de 1902, et l'avoir
précisé dans leur profession de foi, et ensuite être devenus partisans de la Séparation
en 1905. Ainsi, le député G. Berry dénombrait, sur 269 élus, 140 contre, et 129
pour (Annales de la Chambre des députés, séance du 21 mars 1905, p. 1237).
8 G. Mandel justifiait les dispositions spécifiques par le fait qu'en dehors de la
Martinique, de la Réunion et de la Guadeloupe où la loi de 1905 avait été étendue,
il existait des missions religieuses à la « situation juridique indéterminée ». Le but
était alors de maintenir la situation passée. Aussi, pour les territoires où s'appliquent
ces décrets, trouve-t-on un régime parfois proche du Concordat.
9 J.-M. Mayeur, « La politique religieuse », in R. Rémond (dir.), Édouard Daladier,
chef de gouvernement, 1977, Presses de Sciences Po, Académiques, p. 241-254.
antérieure, les relations entre l'Église catholique et le régime
de Vichy ne sont pas univoques de 1940 à 1944 10
.
Cependant, J. Morange souligne que le gouvernement de
Vichy a poursuivi et concrétisé un certain nombre de mesures
amorcées sous la IIIe
République, alors agonisante. La loi du
3 septembre 1940 abroge l'interdiction aux congréganistes
d'enseigner et les congréganistes pourront alors s'implanter
(comme les Chartreux). Mais ici encore, précisons que Vichy
accomplit un mouvement enclenché bien avant, même s'il ne
va pas aussi loin que ce qui avait été préconisé par le passé.
Selon nous, le régime de Vichy s'inscrit, dans divers domaines,
dans une continuité totale ou partielle avec la IIIe
République,
et surtout un certain nombre de dispositions seront maintenues
en 1944, ce qui affectera durablement la laïcité et le
régime des cultes.
Le basculement le plus important se fait alors sans doute avec
l'ancrage constitutionnel de la laïcité en 1946. J. Morange rappelle
le consensus établi lors de la rédaction de la Constitution
de la IVe
République, et surtout sur la position de J. Rivero,
encore souvent invoquée, selon qui la laïcité ne s'entend que
par la neutralité religieuse de l'État. J. Morange interroge
alors : « Si la laïcité de la République signifie seulement sa
neutralité et son impartialité, pourquoi ne pas avoir qualifié,
directement, de République neutre ou impartiale cette dernière,
sans passer par le détour de la laïcité ? »
Quoi qu'il en soit, les acquis républicains seront constitutionnalisés
: l'ouvrage de S. Hennette-Vauchez précise cependant
que la liberté de l'enseignement ne deviendra un principe fondamental
reconnu par les lois de la République qu'en 1977 11
.
Enfin, J. Morange affine les spécificités du modèle français
de laïcité. S'il existe un socle commun au niveau européen
de garanties des droits fondamentaux, comme les libertés de
conscience, de religion et d'expression, qui sont assurément
les prérequis à la laïcité, force est de constater que le Conseil
de l'Europe et la Cour européenne des droits de l'Homme ne
prônent aucune forme particulière de relation entre l'État et
les Églises. La laïcité en est une parmi d'autres, ce n'est qu'un
modèle parmi d'autres, d'ailleurs peu partagé dans le monde
ou en Europe. Cependant, pour la Cour européenne, un État
se doit de rester neutre et impartial, ce qui a permis notamment
de valider les positions turques et françaises de laïcité.
De même, au niveau des textes et des institutions de l'Union
européenne, le silence sur les relations entre les États et les
10 Sur ces points, v. C. Benelbaz et C. Froger, « Vichy et la laïcité : la continuité de
la rupture », in C. Benelbaz, B. Berthier, C. Froger et S. Platon (dir.), L'œuvre
législative de Vichy d'hier à aujourd'hui : rupture(s) et continuité(s), 2017, Dalloz,
Thèmes et commentaires, p. 67-102.
11 Rappelons d'ailleurs que B. Genevois a fait part d'une discussion qu'il eut
avec L. De Tinguy du Poüet, ancien député MRP, confessant l'intention des
Républicains populaires d'introduire en 1946, par le biais des principes fondamentaux
reconnus par les lois de la République, la liberté d'enseignement à l'insu
des communistes et des socialistes. B. Genevois, « Une catégorie de principes de
valeur constitutionnelle : les principes fondamentaux reconnus par les lois de la
République », RFDA 1998, p. 477-494.
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