Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger 1-2024 - 112

Recension
cité et de neutralité du service public. Il prend les mesures
nécessaires à cet effet et, en particulier, il veille à ce que ses
salariés ou les personnes sur lesquelles il exerce une autorité
hiérarchique ou un pouvoir de direction, lorsqu'ils participent
à l'exécution du service public, s'abstiennent notamment de
manifester leurs opinions politiques ou religieuses ». Nous
pouvons alors déduire de ces éléments que peu importe que
le service public soit administratif, industriel ou commercial,
géré par une personne publique ou privée, tous ses agents sont
soumis au même devoir de neutralité, lequel deviendrait alors
un principe directeur des services publics, comme le sont les
lois de Rolland. Par conséquent, cela pourrait aussi s'appliquer
aux agents et enseignants des établissements privés d'enseignement
sous contrat.
Par ailleurs, pour S. Hennette-Vauchez, les accommodements
se traduiraient également par le financement des établissements
privés, allant à l'encontre de l'article 2 de la loi
de 1905. L'autrice précise que certaines exceptions au principe
de non-financement demeurent, comme les services
d'aumônerie. Or ces derniers ne constituent selon nous en
aucun cas une exception au principe de non-financement.
En effet, ils sont d'abord un élément de la liberté de religion
et l'État doit permettre aux usagers de pouvoir exercer leurs
cultes lorsque ceux-ci se trouvent dans un service public clos.
Enfin, A. Briand avait précisé que, lorsque l'État fait venir un
ministre du culte, il n'est que le mandataire forcé du détenu,
il se substitue à lui pour lui rendre un service qu'il n'a pas les
moyens de se procurer ; l'État ne serait qu'un intermédiaire
et « de même qu'un particulier a à rémunérer le service privé
que lui rend un ministre du culte, de même l'État [aurait] à
rétribuer ce service rendu aux détenus dans les mêmes conditions
» 17
. On aurait alors été en présence d'une indemnité ou
d'une rémunération au titre d'un service privé, et non plus
d'une subvention au service public du culte 18
.
En tout état de cause, les analyses sur l'effectivité de la liberté
d'enseignement et ce qu'elle impliquerait notamment en
termes de financements nécessaires, voire requis, sont particulièrement
éclairantes. Surtout, S. Hennette-Vauchez met
l'accent sur les implications de cette liberté en termes d'accommodements
et finalement sur le fait que ces derniers ne
sont pas incompatibles avec la tradition constitutionnelle.
Enfin, S. Hennette-Vauchez évoque d'authentiques accommodements
permis par le droit français, comme en matière de
handicap ou en matière de religion. L'autrice prend alors des
exemples, comme l'abattage rituel, les inhumations ou encore
les cantines scolaires.
L'abattage rituel implique en effet une dérogation à la règle de
l'étourdissement préalable des animaux et plusieurs circulaires
et jurisprudences vont dans ce sens.
17 Annales de la Chambre des députés, séance du 13 avr. 1905, p. 1751.
18 V. not. les débats à la chambre, 2e
séance, 6 avr. 1905, spéc. p. 1554 ; séance
du 13 avril 1905, p. 1731-1740 ; ainsi que les analyses de ces questions dans le
rapport Briand, p. 46-58.
Cependant, on ne voit pas en quoi il s'agirait d'un accommodement
dans la mesure où l'abattage rituel est assurément
un élément de la liberté de religion, qui est fondamentale,
et il peut faire échec à la règle de l'étourdissement préalable.
Quant au bien-être animal, il ne fait pas l'objet d'une protection
identique, même si la Cour de justice de l'Union européenne
a semblé faire évoluer sa position à ce sujet 19
.
En revanche, pour les carrés confessionnels dans les cimetières,
il apparaît que cette pratique, même si elle est encouragée par
les pouvoirs publics depuis 1975 20
, est totalement illégale : les
cimetières sont laïques depuis les lois du 14 novembre 1881,
du 5 avril 1884 et du 15 novembre 1887. Quant aux cantines,
les menus confessionnels, donc halal ou casher ne sauraient
être admis 21
.
; cette solution étant logique puisque l'Administration
devrait nécessairement recenser les usagers afin de
déterminer le nombre de repas. Il en va différemment des
menus de substitution 22
Quoi qu'il en soit, l'ensemble de ces analyses permet de nourrir
la réflexion sur les différentes instrumentalisations de la
laïcité qui se traduisent par bon nombre d'exceptions ou
d'accommodements. Ces derniers peuvent être à l'initiative
des pouvoirs publics, par une certaine pratique, mais aussi
par des textes ou des jurisprudences. Dès lors, il est souvent
délicat de savoir avec précisions ce qu'est la laïcité. La lecture
des ouvrages permet également de s'interroger sur ce qu'elle
n'est pas.
II. Ce que la laïcité n'est pas
On l'a vu, et les deux ouvrages insistent sur ce point, laïcité
et neutralité sont souvent confondues et ce dernier principe
s'étend d'ailleurs de plus en plus, non seulement à des personnes
initialement exclues, comme les élèves, mais aussi à
des lieux de plus en plus nombreux, comme la sphère privée
ou encore l'espace public. Cependant, si la neutralité est
un élément constitutif de la laïcité, elle n'en est qu'un parmi
d'autres, et la séparation est également fondamentale, notamment
parce qu'elle implique une distinction nette entre le
cultuel et le culturel (A). Encore que les limites sont parfois
difficiles à distinguer, la laïcité, si elle ne consiste pas à reléguer
la religion dans la seule sphère privée, ne permet pas
pour autant l'extériorisation systématique des convictions
religieuses (B).
19 CJUE, grde ch., 17 déc. 2020, n° C-336/19, Centraal Israëlitisch Consistorie van
België : Europe 2021, comm. 43, note A. Rigaux ; Dr. rur. 2021, comm. 66, note
M. Cintrat ; JCP G 2021, 199, note G. Gonzalez ; RDLF 2021, chron. 8, note
M. Oguey. V. aussi sur cette question C. Benelbaz, « L'abattage rituel et l'animal »,
JDA 2021, dossier 8 « L'animal & le droit administratif », https://lext.so/Ddk0Lx.
20 Circ. n° 75-603, 28 nov. 1975 : BOMI 1975, p. 275 - circ. n° 95-30, 14 févr.
1991 : consultable en intégralité dans le rapport du Haut conseil à l'intégration,
Les conditions juridiques et culturelles de l'intégration, mars 1992,
La Documentation Française, p. 165-168 - circ. du ministre de l'Intérieur, Police
des lieux de sépulture : aménagement des cimetières - regroupements confessionnels
des sépultures, 19 févr. 2008, NOR/INT/A/08/00038/C.
21 V. not. CE, 20 mars 2013, n° 354547, Assoc. végétarienne de France - CE,
16 juill. 2014, n° 377145, Garde des Sceaux, min. de la Justice - et CAA Lyon,
22 juill. 2014, n° 14LY00113, Garde des Sceaux, min. de la Justice : AJDA 2014,
p. 2321, note P.-H. Prélot.
22 V. CE, 11 déc. 2020, n° 426483, Ligue de défense judiciaire des musulmans.
112
Re vue du dr oit public * Mar s 2024
https://www.lext.so/Ddk0Lx
Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger 1-2024

Table des matières de la publication Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger 1-2024
