Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger 1-2024 - 113

Recension
A. Elle n'est pas que la neutralité
Dans les écoles privées, S. Hennette-Vauchez relève que
« nombre de principes juridiques qui sont volontiers interprétés
comme la traduction juridique du projet républicain
voient leur application aménagée, sinon suspendue - à commencer
par la laïcité et la neutralité des services publics », en
raison de leur caractère propre. La loi Debré impose l'accueil
de tous les élèves, sans distinction d'origines ou de convictions,
ce qui est alors la contrepartie du soutien notamment
financier de l'État. Pourtant, la question se pose de savoir si
les établissements privés, en tout cas hors contrat, pourraient
s'extraire du principe de non-discrimination et l'ouvrage présente
des analyses et pistes de réflexion majeures.
Quoi qu'il en soit, l'enseignement privé connaît assurément
une diversification, notamment par l'apparition d'établissements
confessionnels protestants, juifs ou musulmans.
Plusieurs mouvements sont alors mis en lumière par
S. Hennette-Vauchez : en raison de la sécularisation de la
société notamment, les établissements privés sous contrat
catholiques connaissent une déconfessionnalisation, ce qui a
pour effet une « reconfessionnalisation » des établissements
hors contrat.
Le personnel des établissements sous contrat s'est laïcisé et
l'obligation d'accueillir tous les élèves a eu les mêmes conséquences.
De plus, le choix des parents de se tourner vers
l'enseignement est de moins en moins justifié par des considérations
religieuses, mais plutôt scolaires, voire pratiques (en
raison de la dégradation, voire d'une mauvaise image de l'enseignement
public par exemple). En fin de compte, le privé
peut être considéré comme un autre public.
Inversement, les établissements hors contrat connaissent
une « reconfessionnalisation » et un certain regain. Or, à ce
sujet, un certain nombre de dérives notamment intégristes,
et de tous bords, suscite des inquiétudes, même si les établissements
hors contrat sont loin d'être majoritairement
confessionnels. Il existe en effet une grande variété de ce type
d'établissements (Montessori, Steiner, Diwan), mais qui eux
aussi peuvent connaître des dérives (on pense notamment au
« séparatisme »).
Au sujet des établissements confessionnels, l'enseignement
juif connaît des spécificités, et s'il reste assez faible en nombre
d'établissements, il connaîtrait également une progression
pour des raisons assez diverses : conflit israélo-palestinien,
attentats en France, montée de l'antisémitisme, montée du
courant orthodoxe voire ultra-orthodoxe. Surtout, des inquiétudes
portent sur le respect de la règle de non-discrimination
par certains de ces établissements, bien qu'il n'y ait pas de
contentieux en la matière. Si les risques de troubles à l'ordre
public semblent exclus, ceux relatifs au communautarisme se
posent, même si la plupart de ces établissements sont sous
contrat. En tout état de cause, les contrôles publics demeurent
sans doute insuffisants et une certaine tolérance serait admise
à leur égard.
Quant aux établissements privés musulmans, leur implantation
est récente et un très faible nombre d'entre eux est sous
contrat. Mais S. Hennette-Vauchez relève un certain nombre
d'obstacles à leur implantation et que « la même rigueur ne
semble pas appliquée à l'ensemble de l'enseignement privé
juif ».
Les développements interrogent alors : lorsque l'école privée
se soumet à la neutralité, cela apparaîtrait soit comme insuffisant,
soit comme une extension de la laïcité à une sphère qui
normalement devrait en être préservée. À l'inverse, lorsque le
privé fait du privé et se distingue du public, au nom notamment
du caractère propre, cette posture fait également l'objet
de critiques. Aussi, il nous semble délicat de déterminer quelle
position devraient adopter les écoles privées.
De plus, et de façon plus générale, la laïcité distingue le cultuel
du culturel. Dès lors, le temporel ne doit pas s'immiscer dans
le spirituel et inversement. Or cette dimension est souvent
occultée ou mise à mal 23
.
Ainsi, au titre de la portée directe de la laïcité, J. Morange
insiste sur l'importance politique du principe de laïcité, entraînant
un comportement areligieux des autorités publiques et
de la République. Le pouvoir et les institutions n'ont en effet
aucun fondement religieux et leur but ne l'est pas davantage.
Si cela peut parfois provoquer certaines tensions, on l'a vu par
exemple avec la visite du pape François à Marseille en septembre
2023, la laïcité n'exclut pas des relations entre l'État
et les différents cultes. J. Morange le précise en rappelant
d'ailleurs les positions des différents chefs d'État et de gouvernement
depuis le début du XXe
siècle, même si le dernier
président en exercice a sans doute montré un rapprochement
et une approche favorables à l'égard de certains cultes.
Quant à la législation cultuelle, J. Morange rappelle sa complexité,
notamment du fait que la loi de 1905 ne mentionne
pas la laïcité, et donc ne la définit pas non plus. Cependant,
le mot était omniprésent dans les débats préparatoires et il n'y
avait nul besoin de la préciser, d'en retenir une définition trop
étroite ou qui se serait voulue exhaustive. En réalité, la laïcité
est définie dans les deux premiers articles de la loi.
L'auteur insiste également sur le statut des associations
cultuelles, prévu notamment à l'article 4, fixant selon lui un
cadre contraignant, tandis que la loi de 1901 conférait aux
associations de droit commun une grande liberté d'organisation.
En
réalité, l'article 4 est sans doute le cœur de la séparation et
confère une liberté aux cultes : dans leur organisation, dans
leur fonctionnement, dans leurs croyances et dans leurs rites.
Seul un nouveau statut, celui des associations cultuelles, per23
V. not. C. Benelbaz, « La distinction entre cultuel et culturel », in H. Mouannès
(dir.), La territorialité de la laïcité, 2018, Presses de l'université Toulouse 1
Capitole, Actes de colloque de l'IFR, p. 83-126.
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