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Recension
de la IIIe
République ? « Vous ne toucherez jamais avec trop de
; cette formule est
.
scrupule à cette chose délicate et sacrée, qui est la conscience
de l'enfant » commandait Jules Ferry 25
devenue une incantation dans le milieu scolaire : « Rien n'est
plus vulnérable qu'une conscience d'enfant » 26
La question relative à l'extériorisation des convictions religieuses
par les élèves est éminemment délicate et l'on en voit
très régulièrement - à chaque rentrée scolaire quasiment - les
répercussions. Si la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 a sans
aucun doute conduit à une clarification et à un apaisement,
elle continue, 20 ans après son adoption, à faire l'objet de
critiques. J. Morange s'interroge en effet : « Faut-il y voir la
marque résurgente d'une laïcité militante ou un simple retour
à la neutralité d'un service public et d'une école publique berceau
de la laïcité ? Faut-il y voir une atteinte à la liberté des
élèves ou la seule exigence d'une réserve de leur part afin d'éviter
des pressions sur d'autres élèves ? »
S. Hennette-Vauchez parle ici d'une « évolution profonde,
voire d'une subversion, du sens juridique du principe de laïcité
», puisque jusqu'à présent les personnes privées, et notamment
les usagers, bénéficiaient d'une pleine jouissance de leur
liberté de religion, impliquant notamment le droit de les extérioriser.
Mais rappelons que cette liberté n'a jamais été absolue
et que tout acte motivé par une conviction religieuse n'est pas
nécessairement protégé. De plus, les usagers ont toujours pu
voir leur liberté religieuse limitée, que ce soit dans les prisons,
les hôpitaux, les cimetières, etc.
Mais S. Hennette-Vauchez soulève plusieurs interrogations,
tels les enjeux en termes de sémiotique ou encore l'extension
de la laïcité à toutes les personnes fréquentant l'espace scolaire.
À
nos yeux, la loi a une dimension prospective et peut s'appliquer
à des tenues ou des signes qui n'étaient pas prévus
initialement, comme le turban sikh 27
. Surtout elle permet de
lutter contre toute volonté de contourner l'interdiction, précisément
en recourant à des tenues moins facilement ou immédiatement
identifiables. Pour autant, la loi de 2004 a procédé
à un changement sémantique et donc aussi juridique :
le terme initialement retenu en 1989 était « ostentatoire »,
c'est-à-dire « qui est fait avec ostentation », donc « une mise en
valeur excessive et indiscrète » 28
discret... pourtant reprise aussitôt dans la circulaire d'application
de la loi.
Aussi, sur l'approche sémiotique, il convient de préciser certains
éléments : pour S. Hennette-Vauchez, cette discipline
« nous enseigne que le signe en lui-même ne veut rien dire ; et
que le sens qui lui est prêté résulte toujours d'une co-construction
entre l'intention de l'acteur et le regard de l'observateur ».
Or il est possible de ne pas approuver cette approche.
En effet, le signe linguistique unit non pas une chose et un
nom, mais bien un signifié et un signifiant.
Il est impossible de dissocier les deux éléments constitutifs du
signe : le signifié, c'est-à-dire l'élément non perçu du signe,
sa signification, le concept ; et le signifiant, donc la forme
qu'il revêt, sa forme visible, son support 29
. Selon Saussure, la
première caractéristique du signe, quel qu'il soit, est son arbitraire
: le signifiant aussi bien que le lien qui unit le signifiant
au signifié sont de cette nature.
La seconde caractéristique est que tout moyen d'expression
repose nécessairement, dans une société, sur une habitude
collective, sur une convention. L'arbitraire conventionnel du
signe implique par conséquent que le signifiant ne peut pas
dépendre du libre choix du sujet qui y recourt, il est imposé ;
il ne revient pas à l'individu de changer un signe car, dès lors
que celui-ci est établi dans un groupe linguistique, il échappe
à sa volonté. On ne peut désigner un bœuf en l'appelant
« mouton » sans rompre le lien entre le signifiant et le signifié ;
c'est ce qu'on appelle l'immutabilité du signe 30
.
. La loi a opté pour l'adjectif
« ostensible » (« qui est fait sans se cacher ou avec l'intention
d'être remarqué ») : en clair « l'intention d'être remarqué »,
pour non excessive qu'elle soit, rend inutile la notion de signe
25 Circulaire connue sous le nom de « Lettre aux instituteurs », 17 nov. 1883, in
Discours et opinions de Jules Ferry, IV, 1896, Armand Colin et Cie, p. 259-267.
26 Circ. du ministre d'État, ministre de l'Éducation nationale, de la Jeunesse et
des Sports, 12 déc. 1989 : JO, 15 déc. 1989 ; ce qui correspond presque mot
pour mot à la formule de J. Rivero lorsqu'il disait : « Rien n'est plus délicat (...)
qu'une conscience d'enfant », in « La notion juridique de laïcité », D. 1949,
chron. XXXIII, p. 137-140.
27 CE, 5 déc. 2007, Ranjit S. : Lebon ; RFDA 2008, p. 529, concl. R. Keller ; D.
avocats 2008, p. 35 ; JCP G 2008, IV 1062.
28 Dictionnaire Le Robert.
À partir de cette définition du signe, on remarque que le juge,
tout comme le législateur ou le ministre à travers sa circulaire,
ont toujours admis une incertitude quant à l'appréciation du
signe, en en distinguant le contenu, et le contenant.
La prudence des textes les a fait distinguer « les signes et
tenues (...) dont le port conduit à se faire immédiatement
reconnaître par son appartenance religieuse » des « signes religieux
discrets » ; celle du juge l'a conduit à différencier les
signes et tenues dont le port par lui-même manifeste ostensiblement
une appartenance religieuse de ceux dont le port ne
manifeste ostensiblement une appartenance religieuse qu'en
raison du comportement de celui qui l'arbore.
Créer une typologie des signes religieux, licites ou non, n'évite
aucunement des critères subjectifs d'appréciation (où commence
et où finit la discrétion d'un signe qui vise précisément
à permettre de conclure à l'existence d'une foi ?) et surtout ne
correspond pas à la définition même du « signe ». Il n'est guère
possible de distinguer les signes selon qu'ils permettent ou
non de manifester une appartenance religieuse, dans la mesure
où ils le permettent tous. Cette dissociation entre les signes
29 F. de Saussure, Cours de linguistique générale, 1995, Paris, Grande bibliothèque
Payot, p. 99.
30 V. D. Lagorgette, « Qu'est-ce qu'un " signe religieux " au prisme de l'analyse du
discours du droit ? », in C. Benelbaz et C. Froger (dir.), La laïcité dans les services
publics : aspects pratiques, entre renouveau et renoncement, 2022, Institut francophone
Justice et Démocratie, Colloques & essais, p. 23-58.
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