Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger 1-2024 - 116

Recension
risquerait d'entraîner une discrimination entre les signes facilement
reconnaissables et d'autres, plus subtils, alors qu'ils ont
tous la même portée.
En clair, on ne peut dissocier les deux éléments constitutifs du
signe religieux : ce dernier, quel qu'il soit, quel que soit son
nom, la forme qu'il prend (donc quel que soit son signifiant),
a nécessairement une signification, un sens (un signifié).
L'intention ou la volonté de celui qui va arborer le signe n'a
alors pas d'importance, dans la mesure où le signe est conventionnel
et qu'il ne peut y avoir aucune dimension personnelle
dans ce dernier.
La même position devrait alors être tenue au sujet des signes
politiques : tous, quels qu'ils soient, pourraient faire l'objet
d'une interdiction scolaire. Un élève arborant un svastika ne
saurait prétendre qu'il est avant tout un symbole hindouiste,
attribut de Ganesh, le dieu à tête d'éléphant, ou encore un
symbole de la mythologie germanique, où il représentait le
dieu du tonnerre, Thor. Car ce signe est désormais indissolublement
et par convention associé au nazisme et son sens ne
peut être modifié unilatéralement.
Fondamentalement, la forme que prend le signifiant importe
beaucoup moins que son rapport - qui est constant - avec le
signifié et grâce auquel le signe se lit. Ainsi, on peut envisager
que tout vêtement, comme un pull-over ou un t-shirt, puisse
devenir un moyen de manifester une appartenance religieuse.
Dans tous les cas, l'Administration, comme les autres élèves
du reste, n'a pas à connaître la religion ni à demander des
précisions, si l'appartenance est réelle ou supposée : cela
constituerait évidemment une immixtion dans l'intimité de
l'individu. En revanche, rien n'interdit à l'Administration ou
au juge d'interpréter le signe en cause et de déterminer s'il est
ou non religieux : pourquoi reconnaître qu'un objet est bien
un signe, accepter de porter une appréciation dessus afin de
savoir s'il constitue un acte de prosélytisme ou de propagande,
s'il est porté de façon ostentatoire ou ostensible, et refuser
de dire s'il est ou non religieux, donc refuser d'expliciter le
signifié ? Le refus d'interpréter le signe constitue un paradoxe
certain et conduit finalement à une impasse. Le juge et l'Administration
n'ont pas à déterminer si l'élève est croyant, mais
juste à déterminer si le signe qu'il porte est religieux. Si par
convention sociale un signe est considéré comme religieux,
alors il peut être interdit dans le cadre de l'institution scolaire ;
il suffit que son sens soit connu de tous.
Si l'on souhaite alors réaffirmer le principe de laïcité dans les
établissements publics d'enseignement, en y interdisant les
signes religieux par lesquels les élèves manifestent leur appartenance
religieuse, ce sont plutôt, selon nous, tous les signes,
discrets ou non, qui devraient être considérés.
Pour conclure, les ouvrages de S. Hennette-Vauchez et de
J. Morange sont précieux et nécessaires pour mieux aborder et
comprendre la laïcité, tant par ce qu'elle est que par ce qu'elle
n'est pas, et contribuent au débat juridique et intellectuel sur
ces questions, en espérant que celui-ci se poursuive.
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