Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger 1-2024 - 117

200c1
DOCTRINE
Rodolphe royaL
Docteur en droit public de l'université Panthéon-Sorbonne (Paris 1)
Enseignant-chercheur contractuel à l'université de Picardie Jules Verne
La « nouvelle science du droit administratif », une
promesse de renouveau venue d'Allemagne ? RDP200c1
L'ESSENTIEL
Apparue en Allemagne au début des années 90, la « nouvelle science du droit administratif » (neue
Verwaltungsrechtswissenschaft) est un courant doctrinal qui entend renouveler l'objet de cette science. Compte tenu
de l'inadaptation des règles de droit administratif allemand à un contexte de « globalisation » et de « privatisation »
des ordres juridiques, il reviendrait à celle-ci de ne plus se contenter de la fonction dogmatique de systématisation
des règles de droit administratif en vigueur, mais de participer activement à leur réforme. Pour savoir si ce courant
peut utilement contribuer au renouveau de la science du droit administratif française, il convient de souligner
les difficultés méthodologiques auxquelles il s'expose. Compte tenu de celles-ci, sa portée doit être limitée à
de simples réformes sectorielles du droit administratif, opérées selon des modalités décentralisées d'énoncé de
règles de droit.
e dialogue entre doctrines allemande et française est
une longue tradition du droit administratif. En France
comme en Allemagne, il a même été déterminant
pour la construction de ce droit, à la fin du XIXe
début du XXe
du droit administratif français 1
. S'appuyant essentiellement sur les développeL
siècle
et au
siècle. En 1895, soit neuf ans après sa Théorie
, Otto Mayer, alors professeur
à l'université de Strasbourg, publiait son Droit administratif
allemand 2
ments des jurisprudence et doctrine françaises, ce dernier
jouit d'une « autorité incontestée » en Allemagne jusqu'à
la fin de la première guerre mondiale 3
. Symétriquement, la
fondation par Léon Duguit de l'« école du service public » 4
entendait répondre aux insuffisances supposées des théories
allemandes de la personnalité morale d'un État titulaire d'un
droit subjectif de souveraineté sur ses « sujets » 5
. Ces théories
constituaient le cadre dans lequel l'existence d'un droit administratif
fondé sur le recours à des « prérogatives de puissance
publique » pouvait être envisagée. Contre un tel critère, Léon
Duguit proposa de fonder l'existence d'un droit administratif
sur la notion de « service public », érigé plus tard en « pierre
angulaire du droit administratif » 6
.
Un dialogue aussi fructueux peut-il être noué un siècle plus
tard ? Au début des années 90, un ensemble de professeurs
de droit administratif allemands plaidèrent, sous l'impulsion
notamment d'Eberhard Schmidt-Aßmann et de Wolfgang
1 Theorie des französichen Verwaltungsrechts, 1886, Karl J. Trübner.
2 Deutsches Verwaltungsrecht, 1895-1896, Duncker & Humboldt, 2 vols. V. également
la version française, écrite par O. Mayer : Le droit administratif allemand,
1904, Giard & Brière, 2 vols.
3 M. Stolleis, Geschichte des öffentlichen Rechts in Deutschland, t. 2, 1988, C.H. Beck,
p. 407.
4 V. F. Melleray, « École de Bordeaux, école du service public et école duguiste.
Proposition de distinction », RDP 2001, p. 1887-1905.
5 Traité de droit constitutionnel, t. 1, 1921, de Boccard, p. 383-492.
6 G. Jèze, Les principes généraux du droit administratif, 3e
E. Brière, 2e éd. (préf.), p. 15.
éd., 1925, M. Giard et
7 V. not. W. Hoffmann-Riem, E. Schmidt-Aßmann et G. Folke Schuppert (éd.),
Reform des Allgemeinen Verwaltungsrechts, 1993, Nomos, et la série des « Écrits sur
la réforme du droit administratif » (Schriften zur Reform des Verwaltungsrechts),
clôturée par E. Schmidt-Aßmann et W. Hoffmann-Riem (éd.), Methoden der
Verwaltungsrechtswissenschaft, 2004, Nomos. V. cependant W. Hoffmann-Riem,
« Reform Des Allgemeinen Verwaltungsrechts Als Aufgabe - Ansätze Am Beispiel Des
Umweltschutzes », Archiv des öffentlichen Rechts 1990, vol. 115, n° 3, p. 400-447.
8 Pour une introduction à ce courant, v. A. Voßkuhle, « Neue Verwaltungsrechtswi
ssenschaft », in W. Hoffmann-Riem, E. Schmidt-Aßmann et A. Voßkuhle (éd.),
Grundlagen des Verwaltungsrechts, 2012, C.H. Beck, p. 1-65.
9 Sur les causes de l'émergence de la « nouvelle science du droit administratif »,
v. A. Voßkuhle, « Neue Verwaltungsrechtswissenschaft », in W. Hoffmann-Riem,
E. Schmidt-Aßmann et A. Voßkuhle (éd.), Grundlagen des Verwaltungsrechts, 2012,
C.H. Beck, p. 9-15.
10 Sur la remise en cause de cette différenciation, v. H. Willke, « The Tragedy of
the State : Prolegomena to a Theory of the State in Polycentric Society », Archiv für
Rechts- und Sozialphilosophie 1986, vol. 72, n° 4, p. 455-467. Sur les rapports de
domination présupposés par le droit administratif allemand, v. déjà la définition
par O. Mayer du « droit public individuel (subjectif) » comme « un pouvoir juridique
sur l'exercice de la puissance publique » (O. Mayer , Le droit administratif
allemand, 1904, Giard & Brière, 2 vols, p. 140).
Hoffman-Riem 7
, pour l'avènement d'une « nouvelle science
.
. Ces dernières remettaient en cause le
du droit administratif » (neue Verwaltungsrechtswissenschaft) 8
Celle-ci entendait répondre à la crise que subissait le droit
administratif allemand, sous l'effet de la privatisation et de
la mondialisation 9
présupposé d'une stricte différenciation hiérarchique entre
un État souverain et ses « sujets », sur lequel le droit administratif
allemand était jusque-là fondé 10
. Les relations entre
l'administration et les personnes privées étaient désormais
caractérisées par des rapports horizontaux de coopération
plutôt que par les rapports verticaux de domination que traduit
l'acte administratif (der Verwaltungsakt). Le droit administratif
allemand ne semblait ainsi plus adapté au contexte
dans lequel agissait l'administration. Il n'aurait dès lors plus
été en mesure de répondre aux « problèmes sociaux » qui se
posaient à celle-ci dans cet environnement inédit. Compte
tenu de l'inadaptation du droit administratif allemand à
son environnement social, la science du droit administratif
ne pourrait, selon les promoteurs de la « nouvelle science du
droit administratif », plus se contenter de la fonction dogmaRe
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