Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger 1-2024 - 118

Doctrine
tique de systématisation des règles de droit administratif en
vigueur 11
nique de la notion de « service public » 18
. Il lui faudrait plus largement participer à la formulation
des règles de droit administratif à appliquer par les
juridictions ordinaires, de manière à assurer leur adaptation
à cet environnement social inédit. La valeur des propositions
formulées par la « nouvelle science du droit administratif »
serait à apprécier d'un point de vue fonctionnel, à l'aune de la
capacité des règles de droit dont elle prescrit l'application à
répondre aux « problèmes sociaux » accompagnant le double
mouvement de « privatisation » et de « mondialisation » traversant
l'ordre juridique allemand 12
. Cette « nouvelle science
du droit administratif » devait en d'autres termes participer
activement à la nécessaire réforme du droit administratif allemand
13
nouvelles règles de droit administratif 14
. Elle pourrait alors aider tant à l'énoncé législatif de
qu'à l'interprétation
juridictionnelle des notions indéterminées du droit administratif
allemand en vigueur 15
. Il reviendrait dans cette perspec.
Ces dertive
à la science du droit administratif de s'ouvrir aux sciences
sociales, dans une perspective interdisciplinaire 16
nières lui permettraient de mesurer les incidences empiriques
de l'application des règles de droit administratif sur leur
environnement social, pour déterminer si celles-ci sont en
mesure de répondre aux « problèmes sociaux » qui lui sont
inhérents 17
.
Ainsi définie, la « nouvelle science du droit administratif »
entend répondre à une « crise » du droit administratif allemand
similaire à celle que subissait le droit administratif
français après la Seconde Guerre mondiale. En droit français,
l'association croissante de personnes privées à l'action administrative
conduisait à remettre en cause la définition orga11
Sur cette fonction de la « dogmatique juridique » en droit administratif allemand,
v. A. Hueber, Otto Mayer. Die « juristische Methode » im Verwaltungsrecht,
1981, Duncker & Humboldt ; O. Bachof et W. Brohm, « Die Dogmatik des
Verwaltungsrechts vor den Gegenwartsaufgaben der Verwaltung », VVDStRL 1972,
vol. 30, p. 193 et s. ; et, plus généralement en droit, F. Müller, Juristische Methodik,
1971, Duncker & Humboldt ; N. Luhmann, Rechtssystem und Rechtsdogmatik,
1974, Kohlhammer.
12 Dans la perspective de la « nouvelle science du droit administratif », le droit
serait ainsi un « instrument de production et d'évitement d'effets désirés et non
désirés, et donc d'influence de processus phénoménaux » (G. Folke Schuppert,
« Verwaltungsrechtswissenschaft als Steuerungswissenschaft », in W. HoffmannRiem,
E. Schmidt-Aßmann et G. Folke Schuppert (éd.), Reform des Allgemeinen
Verwaltungsrechts, 1993, Nomos, p. 65).
13 V. en ce sens, le titre de l'ouvrage programmatique de W. Hoffmann-Riem,
E. Schmidt-Aßmann et G. Folke Schuppert (éd.), Reform des Allgemeinen
Verwaltungsrechts, 1993, Nomos (« réforme du droit administratif allemand », et
de l'article de W. Hoffmann-Riem, « Reform Des Allgemeinen Verwaltungsrechts Als
Aufgabe - Ansätze Am Beispiel Des Umweltschutzes », Archiv des öffentlichen Rechts
1990, vol. 115, n° 3, p. 400-447 (« la réforme du droit administratif général
comme tâche - approches par l'exemple du droit de l'environnement »).
14 V. en ce sens les exemples mentionnés par A. Voßkuhle, « Neue Verwaltungsrechts
wissenschaft », in W. Hoffmann-Riem, E. Schmidt-Aßmann et A. Voßkuhle (éd.),
Grundlagen des Verwaltungsrechts, 2012, C.H. Beck, p. 55-52.
15 En ce sens : W. Hoffmann-Riem, « Methoden einer anwendungsorientierten Verw
altungsrechtswissenschaft », in E. Schmidt-Aßmann et W. Hoffmann-Riem (éd.),
Methoden der Verwaltungsrechtswissenschaft, 2004, Nomos, p. 11 et s.
16 V. à ce sujet C. Möllers, « Theorie, Praxis und Interdisziplinarität in der Verwaltung
srechtswissenschaft », Verwaltungsarchiv 2002, vol. 93, n° 1, p. 22-61.
17 L'une des tâches essentielles de la « nouvelle science du droit administratif » serait
ainsi de « prendre en considération les conséquences réelles d'une mesure à l'occasion
de l'application du droit » (A. Voßkuhle, « Neue Verwaltungsrechtswissenschaft
», in W. Hoffmann-Riem, E. Schmidt-Aßmann et A. Voßkuhle (éd.), Grundlagen
des Verwaltungsrechts, 2012, C.H. Beck, p. 29).
. Il s'ensuivit une
crise conceptuelle de ces catégories, jusque-là structurantes
pour le droit administratif français 19
. Tandis que le service
public devenait un simple « label » apposé à des activités
d'intérêt général 20
publique d'« anisotrope » 21
, on a pu qualifier la notion de personne
. Au « conceptualisme » qui présidait
aux méthodes du juge administratif français, succédait
leur « empirisme » 22
, caractérisé par le recours à la méthode
du faisceau d'indices. Pour répondre à cette crise, une proposition
de refondation semblable à celle de la « nouvelle
science du droit administratif » allemande avait été formulée
il y a désormais plus de 20 ans par Jean-Bernard Auby 23
. « Les
démocraties occidentales ont connu, dans les trente dernières
années », affirmait ce dernier, « un double mouvement de
réduction de l'espace de l'État au profit de celui du marché,
et de réduction de l'espace de l'État au profit des citoyens. Ce
double mouvement peut être qualifié comme traduisant un
phénomène commun de " désétatisation " de la société, même
si, en vérité, il apparaît à beaucoup d'égards comme abritant
davantage une transformation des modalités de l'intervention
publique qu'une véritable régression de celle-ci » 24
. Il
s'en serait suivi une « contestation » du « substrat colbertien »
du droit administratif français 25
. Ce dernier considérait en
effet « comme le plus naturel » un « mode régalien d'intervention
», consistant en « la prise en charge directe des activités
d'intérêt général, l'encadrement réglementaire des activités
privées, etc. » 26
. De cette « contestation », se serait suivie
« une évidente crise des concepts juridiques par lesquels se
définissent les espaces juridiques de l'État et du marché » 27
.
Pour répondre à cette crise conceptuelle, Jean-Bernard Auby
plaidait pour un « tournant méthodologique » similaire à
celui prôné par la « nouvelle science du droit administratif »
allemande. « Notre droit administratif relâcherait certaines
des tensions qui s'exercent sur lui », affirmait-il ainsi, « s'il
acceptait de prendre en compte avec moins de réticence les
données de l'analyse économique du droit », et en particulier
de la « théorie de la régulation » 28
. Celle-ci serait « en effet,
fondamentalement, une théorie de l'intervention publique.
18 CE ass., 13 mai 1938, Caisse primaire : « Aide et protection »,in P. Delvolvé,
M. Long, P. Weil, G. Braibant et B. Genevois (éd.), Les grands arrêts de la jurisprudence
administrative, 2021, Dalloz, n° 21.
19 J.-B. Auby, La notion de personne publique en droit administratif, thèse Bordeaux I,
1979 ; J.-L. de Corail, La crise de la notion juridique de service public en droit
administratif français, 1954, LGDJ.
20 D. Truchet, « Nouvelles récentes d'un illustre vieillard. Label de service public et
statut du service public », AJDA 1982, p. 427.
21 J.-M. Pontier, « La personnalité publique, notion anisotrope », RFDA 2007,
p. 979.
22 V. à ce sujet T. Fortsakis, Conceptualisme et empirisme en droit administratif français,
1987, LGDJ ; et B. Chenot, « La notion de service public dans la jurisprudence
économique du Conseil d'État », in Études et document du Conseil d'État,
1950, n° 4, p. 77-83 ; J. Rivero, « Apologie pour les " faiseurs de systèmes " »,
D. 1951, chron. XXIII, p. 99-102 ; M. Waline, « Empirisme et conceptualisme
dans la méthode juridique : faut-il tuer les catégories juridiques », in Mélanges en
l'honneur de Jean Dabin, t. 1, 1963, Bruylant, p. 359.
23 AJDA 2001, p. 912.
24 AJDA 2001, p. 916.
25 AJDA 2001, p. 918.
26 AJDA 2001, p. 918.
27 AJDA 2001, p. 918.
28 AJDA 2001, p. 917.
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