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Doctrine
au juge ou à l'administration une marge de discrétion dans le
cadre de laquelle celles-ci pourraient être prises en compte à
l'occasion de l'application de la règle de droit 50
.
Préserver la fonction dogmatique de systématisation des
règles de droit administratif semble ainsi non seulement possible,
mais également nécessaire à une science du droit administratif
qui se donnerait pour objet de prescrire le contenu
de règles de droit administratif à énoncer ou à appliquer. En
se donnant un tel objet, la « nouvelle science du droit administratif
» suppose en effet de prendre la mesure de l'indétermination
de la règle de droit à énoncer ou à appliquer. Mais
elle ne s'en expose pas moins, alors, à la difficulté d'appréhender
la complexité de l'environnement social dans lequel
s'inscrit la règle à appliquer. Compte tenu de cette difficulté,
il convient de circonscrire la contribution de la science du
droit administratif à de simples réformes sectorielles du droit
administratif, selon des modalités institutionnelles décentralisées,
de nature à rendre compte de cette complexité.
II. Une complexité à appréhender
La complexité de l'environnement social dans lequel s'inscrit
la règle de droit administratif représente un obstacle épistémologique
au renouvellement promu par la « nouvelle science du
droit administratif », de nature à remettre en cause la légitimité
des règles énoncées selon ses méthodes (A). Cette remise
en cause peut toutefois être palliée par des modalités décentralisées
d'énoncé et d'application des règles de droit administratif,
propres à rendre compte de cette complexité (B). Dans
le cadre de ces modalités décentralisées, l'objet de la « nouvelle
science du droit administratif » n'en serait pas moins
limité à de simples réformes sectorielles du droit administratif.
A. La complexité, obstacle épistémologique
au renouvellement de la science du droit
administratif
Ce problème de complexité est inhérent aux finalités assignées
à la « nouvelle science du droit administratif ». Celles-ci
supposent d'identifier dans un premier temps les « problèmes
sociaux » qu'il reviendrait aux règles de droit administratif
de résoudre, pour déterminer dans un second temps, et au
moyen de la mesure des incidences empiriques de l'application
de ces règles, si celles-ci sont de nature à répondre aux
problèmes ainsi identifiés. Cette mesure suppose alors de
rendre compte de la complexité de l'environnement social
dans lequel s'inscrivent de telles règles. Or, il est à douter que
la doctrine, le juge ou le législateur dispose des ressources
cognitives nécessaires à l'appréhension de cette complexité 51
.
L'analyse économique du droit est ainsi souvent invoquée par
les promoteurs de la « nouvelle science du droit administratif
» pour mesurer les effets empiriques de l'application de
règles de droit 52
. Elle ne saurait toutefois être la seule science
sociale à être mobilisée à cette fin. Comme le mit en évidence
le sociologue allemand Niklas Luhmann, auquel les
promoteurs de la « nouvelle science du droit administratif »
se réfèrent explicitement 53
, la société forme un « système
complexe » dont l'économie n'est qu'un sous-système parmi
d'autres, aux côtés des arts, de l'éducation, de la politique, de
la famille ou de la religion 54
. Pour que la doctrine, le législateur
ou le juge soit en mesure d'appréhender les incidences
empiriques de l'application de règles de droit administratif
sur leur environnement, il conviendrait de mobiliser non seulement
les sciences économiques, mais également la science
politique, la sociologie, et toute autre discipline des sciences
sociales pertinente pour apprécier les effets de l'application de
la règle de droit sur ces différents sous-systèmes sociaux. La
maîtrise de ces différentes sciences sociales devrait qui plus
est être suffisante pour que la doctrine, le juge ou le législateur
puisse s'approprier de manière critique leurs apports
respectifs, qui différeront selon le cadre théorique emprunté
par celles-ci. Cette maîtrise devrait enfin être telle pour que
les conclusions tirées de cette science sociale soient adaptées
à la règle de droit ou à la décision juridictionnelle concrète
à énoncer. Compte tenu de la quantité des informations à
maîtriser, il est à douter que la doctrine, le juge ou le législateur
dispose des ressources nécessaires à la mesure des effets
empiriques de la règle de droit à énoncer ou à appliquer sur
son environnement social 55
.
Cette limite épistémologique est problématique à deux
égards. En premier lieu, la doctrine, le législateur ou le
juge ne serait pas cognitivement en mesure de déterminer
si la règle de droit à énoncer ou à appliquer est de nature
à résoudre à un « problème social » déterminé. En second
lieu et par conséquent, l'identification des règles de droit à
appliquer court le risque d'être arbitraire, car fondée sur des
informations insuffisantes ou non pertinentes. Ce risque ne
saurait par lui-même remettre en cause la légitimité de la prise
en compte des incidences empiriques d'une règle de droit sur
son environnement. Une telle prise en compte, pourrait-on
51 O. Lepsius, Steuerungsdiskussion, Systemtheorie und Parlamentarismuskritik, 1999,
Mohr Siebeck, p. 4.
52 Sur le rôle de l'analyse économique en droit, O. Lepsius, « Die Ökonomik als neue
Referenzwissenschaft für die Staatsrechtslehre ? », Die Verwaltung, 1999, vol. 32,
p. 429 et s. ; J.-P. Schneider, « Ökonomisierung von Verwaltungsrecht und Verwalt
ungsrechtswissenschaft », Die Verwaltung, 2001, vol. 34, p. 320 et s. V. également
J.-B. Auby, « La bataille de San Romano », AJDA 2001, p. 917.
sens A. Voßkuhle,
53 V.
50 Sur cet usage des notions juridiques indéterminées en droit administratif allemand,
spécialement dans les domaines à degré élevé de technicité, v. M. Bullinger,
« Das Ermessen Der Öffentlichen Verwaltung - Entwicklung, Funktionen,
Gerichtskontrolle », JuristenZeitung, 1984, vol. 39, n° 22, p. 1001-09. La Cour
constitutionnelle fédérale allemande justifie en ce sens la marge d'appréciation
laissée à l'administration par « la haute complexité ou la dynamique propre de la
matière réglementée » (BVerfGE 84, 34 (50)).
en ce
« Neue Verwaltungsrechtswissenschaft »,
in W. Hoffmann-Riem, E. Schmidt-Aßmann et A. Voßkuhle (éd.), Grundlagen
des Verwaltungsrechts, 2012, C.H. Beck, § 1, Rn. 20.
54 On trouvera un exposé systématique de la théorie des systèmes sociaux dans
N. Luhmann, Soziale Systeme : Grundriße einer allgemeinen Theorie, 1987,
Suhrkamp.
55 En ce sens : H.-H. Trute, « Die Wissenschaft vom Verwaltungsrecht : Einige Leitmotive
zum Werkstattgespräch », Die Verwaltung, n° supp. 2, 1999, p. 18 ; C. Möllers,
« Methoden », in W. Hoffmann-Riem, E. Schmidt-Aßmann, A. Voßkuhle (éd.),
Grundlagen des Verwaltungsrechts, 2012, C.H. Beck, § 3, Rn. 42.
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