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Le budget des collectivités locales face au défi des inégalités de genre
« l'absence de dimension coercitive de cette nouvelle norme
d'action publique » 28
.
En France, bien que le projet de loi de finances soit accompagné,
depuis 2010, d'un document de politique transversale
consacré à la politique de l'égalité entre les hommes et les
femmes et que la circulaire du 23 août 2012 29
ait rendu obligatoire
la prise en compte de l'égalité entre les femmes et les
hommes dans les travaux d'évaluation préalable des projets
de loi préparés par le Gouvernement, les collectivités territoriales
ont été, avant 2014, globalement libres d'intégrer ou
non une perspective de genre dans leur approche du processus
budgétaire et de leur politique publique. La loi du 4 août
2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes peut
donc apparaître comme un tournant majeur. Elle impose, à
son article 1, l'intégration de la question de l'égalité entre les
femmes et les hommes dans la mise en place des politiques
publiques menées par l'État, les collectivités locales et les
établissements publics. Par ailleurs, son article 61 est venu
introduire l'article L. 2311-1-2 au sein du Code général des
collectivités territoriales. Celui-ci dispose que les communes
de plus de 20 000 habitants et les établissements publics de
coopération intercommunale à fiscalité propre regroupant,
eux aussi, plus de 20 000 habitants doivent, préalablement
aux débats sur le projet de budget, présenter un rapport sur la
situation du territoire en matière d'égalité entre les femmes et
les hommes, les politiques menées en la matière et les orientations
et programmes de nature à améliorer cette situation.
Il y a là une première obligation juridique, même si elle reste
embryonnaire.
Dans un avis en date du 11 janvier 2019, le Haut conseil
à l'égalité entre les femmes et les hommes a statué sur le
déploiement de la budgétisation sensible au genre et appel
de ses vœux à la mise en place d'un tel levier en faveur de la
réalisation de l'égalité réelle. Le Haut conseil considère que
l'égalité de genre doit être un « nouveau critère de la validité
du budget, qu'il s'agisse des dépenses ou des recettes ».
Toutefois, son avis ne comporte que des recommandations
dont la portée normative reste toute relative.
Il est donc facile de mesurer le chemin qu'il reste encore à
parcourir, d'autant plus si l'on se focalise sur ce qui se pratique
en Autriche par exemple. Depuis 2009 en effet, la
Constitution autrichienne, par le biais de son article 13 (3),
impose à la Fédération, aux États et aux communes d'assurer
l'égalité effective des hommes et des femmes dans leur gestion
budgétaire. L'égalité entre les femmes et les hommes est donc
placée, dans la Constitution autrichienne, « au même niveau
juridique que les objectifs d'équilibre macroéconomique et de
financement durable » 30
.
Dès lors, sauf peut-être pour les collectivités ayant ellesmêmes
adhéré à la Charte européenne des droits de l'Homme
dans la ville, il n'existe aucune obligation juridique générale
et sanctionnée relative au gender budgeting. C'est en ce sens
que l'intégration de l'égalité de genre au sein de l'ensemble
du processus budgétaire reste, globalement, à la discrétion de
chaque collectivité. Comme pour toute nouvelle approche
« expérimentale », le droit autorise son utilisation et favorise,
dans une certaine mesure, son implémentation. Néanmoins,
à l'heure actuelle, il n'impose rien ou si peu.
La mise en place du gender budgeting au niveau local dépend
donc en réalité de l'implication des décideurs politiques.
Assurément, comme le soulignait Jill Rubery, l'égalité des
genres ne peut être recherchée et maintenue sans un « État
social actif » 31
, c'est-à-dire sans la présence de structures
des individus.
politiques, institutionnelles et administratives tournées
vers l'épanouissement et l'émancipation
Conséquemment, le déploiement ou le maintien d'une budgétisation
sensible au genre suppose que les organes décisionnels
et délibérant de la collectivité soient plutôt à « gauche »
de l'échiquier politique d'une part et que le leadership de l'organe
décisionnel, mesuré en termes de part des votes reçus,
ne puisse faire l'objet d'aucune contestation tangible d'autre
part 32
. Ces deux éléments ne sont peut-être pas des conditions
nécessaires, mais, dans la pratique, il s'avère que cela
aide grandement.
Il en va d'ailleurs de même s'agissant de l'engagement des
personnels administratifs. L'engagement politique des fémocrates
33
est un « mécanisme clé » 34
budgétisation sensible au genre. Comme le montre l'étude
de 2017 sur les facteurs de résistance du gender budgeting en
Andalousie face aux politiques d'austérité appliquées par le
gouvernement espagnol à l'échelle nationale, l'implication
des femmes bureaucrates féministes occupant des postes
de direction au sein du gouvernement régional a permis de
maintenir le processus de budgétisation sensible au genre
et les politiques en faveur du bien-être des individus. Cette
30 E. Klatzer, « Watch Group. Gender and Public Finance (2008) : The integration
of Gender Budgeting », in Performance-Based Budgeting, présentation faite à la
conférence « Presupuestación Pública Responsable con la Igualdad de Género »
(Des budgets publics responsables pour l'égalité entre les femmes et les hommes),
9 au 10 juin 2008, Bilbao, cité in Cons. UE, Direction générale des droits de
l'Homme et des affaires juridiques, S. Quinn (dir.), manuel, L'égalité dans les budgets
: pour une mise en œuvre pratique, avr. 2009, p. 50.
31 J. Rubery, « Austerity and the Future for Gender Equality in Europe », ILR
Review 2015, vol. 68, n° 4, p. 737.
32 S.-M. Jung, « Determinants of Gender Budgeting Practices : Evidence from
Municipal Governments in South Korea », Public Performance & Management
Review 2022, vol. 45, issue 4, p. 960.
28 G. Perrier, « Genre et application du concept de gender mainstreaming. Étude de
cas dans la mise en œuvre du fonds social européen en Île-de-France et à Berlin
depuis 2000 », Politique européenne 2006/3, n° 20, p. 70.
29 Circ., 23 août 2012, relative à la prise en compte dans la préparation des textes
législatifs et réglementaires de leur impact en termes d'égalité entre les femmes
et les hommes.
33 C'est ainsi que l'on nomme depuis plus d'une dizaine d'année maintenant les
militantes féministes qui œuvre à l'intérieur même de l'appareil d'État, qu'elles
soient à des postes politiques ou administratifs. Ce sont les insiders par opposition
aux outsiders qui œuvrent, elles, depuis l'extérieur (mouvements sociaux). V., sur
ce point, L. A. Banaszak, The Women's Movement Inside and Outside the State,
2010, Cambridge University Press.
34 V. Puig-Barrachina et a., « How to Resist Austerity : the Case of the Gender
Budgeting Strategy in Andalusia », Gender, Work and Organization 2017,
vol. 24, n° 1, p. 50.
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