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Doctrine
conséquences qui en découlent) ; que le droit français sur ce
sujet précis semblait être porté à son zénith grâce à des plumes
d'autorité ; et que ce savoir était hardiment diffusé aux confins
de la France, il s'éleva orageusement dans les années 1990 11
,
au sein de la doctrine des voix discordantes menées par celui
qui est, encore aujourd'hui, considéré comme le juriste d'élite
en France, à savoir Georges Vedel (suivi sur cette voie par
bien de juristes 12
et de juges). Et voici que les eaux profondes
des certitudes, qui semblaient avoir trouvé un point de tranquillité,
reprirent sous l'action de forts vents doctrinaux, le
mouvement d'upwelling, oscillant à la recherche d'un nouvel
équilibre.
Il serait, au demeurant, nettement exagéré de conclure à une
transmutation du pouvoir constituant, la notion renvoyant à
un changement d'une substance en une autre, un peu comme
le lapis philosophorum, rêvée et recherchée par les alchimistes
à quoi l'on prête le pouvoir de changer les métaux vils en
métaux précieux. La transmutation est une transformation
totale et nous ne pensons point que cela corresponde à l'évolution
observée. La transformation en revanche peut être
lente ou brutale ; totale ou partielle. Celle qui touche au pouvoir
constituant est à la fois lente et partielle.
La remise en cause de la connaissance paradigmatique du
pouvoir constituant provient tant des écrits doctrinaux que
des expériences constitutionnelles de divers États, rythmées
par l'action des juges constitutionnels et des juntes militaires.
Des expériences originales dont la prise en compte entraîne
l'insécurité de divers concepts établis. Il en découle un pluralisme
des significations et des conceptions qui invite au
relativisme des concepts et légitime le droit constitutionnel
comparé 13
.
Une précision épistémique importante nous semble utile à
effectuer : l'approche de théorie constitutionnelle majoritaire
en France est celle qui part des conceptualisations proches de
la métaphysique pour expliquer la réalité constitutionnelle.
Les concepts de droit constitutionnel modernes sont, comme
le souligne Alain Viala, des concepts théologiques sécularisés.
Carl Schmitt a, par exemple dans sa Théologie politique, pu
établir une analogie entre l'acte constituant et le miracle 14
.
Nous entendons prendre le chemin inverse : celui de l'empirisme,
car une théorie n'a de sens que si elle permet de comprendre
et d'expliquer la réalité, or pour mieux cerner la réalité,
la théorie constitutionnelle doit se construire à partir des
éléments de réalité plutôt que des propositions manufacturées
par l'esprit.
11 Cons. const., DC, 2 sept. 1992, n° 92-312 - Cons. const., DC, 26 mars 2003,
n° 2003-469 : RFDA 2003, p. 792, note L. Favoreu.
12 Voir Pierre Avril et Jean Gicquel par exemple qui, après avoir défini le pouvoir
constituant comme un pouvoir mis en œuvre pour l'élaboration et la révision de
la constitution, précisent en faisant référence à la décision de 1992 qu'« il est souverain
» : P. Avril et J. Gicquel, Lexique de droit constitutionnel, 2013, Paris, PUF.
13 M.-C. Ponthoreau, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), 2010, Paris, Economica ;
C. Grewe et H. Ruiz Fabri, Droits constitutionnels européens, 1995, Paris, PUF,
Droit fondamental ; v. surtout W. Partlett, « The American Tradition of
Constituent Power », International Journal of Constitutional Law, 15, 4, 2017,
p. 955-987.
14 C. Schmitt, Théologie politique, 2e éd., 1988, Paris, Gallimard.
Sous le bénéfice de ces précisions préalables, deux lignes de
transformations du pouvoir constituant seront envisagées : la
première affecte ses détenteurs (I) ; la seconde touche à ses
propriétés (II).
I. La détention du pouvoir constituant :
la dialectique du stable et du variable
Qui est le détenteur du pouvoir constituant ? Il faut, pour
répondre à une telle interrogation, partir du distinguo entre
pouvoir constituant originaire et pouvoir constituant dérivé,
quoique la doctrine formaliste défende l'idée de l'unicité du
pouvoir constituant 15
. Il n'est plus aisé aujourd'hui d'identifier
de façon uninominale le détenteur du pouvoir constituant,
qu'il soit initial ou dérivé. L'on observe un phénomène
de diffusion (ou fragmentation) du pouvoir constituant originaire
(A), concomitant au décloisonnement du pouvoir
constituant dérivé (B).
A. La diffusion du pouvoir constituant originaire
Qui détient aujourd'hui le pouvoir constituant originaire ?
La réalité est qu'il est aujourd'hui diffus ou fragmenté, de
telle sorte que seules les circonstances empiriques peuvent
déterminer qui en est le détenteur effectif 16
. Il y a quoi qu'il
en soit un détenteur théorique dont les formes d'expression
changent (1), et par l'émergence d'un certain nombre de
détenteurs circonstanciels, agissant avec ou en concurrence
au peuple (2).
1. Le détenteur de principe : le peuple transfiguré
La théorie démocratique, presque partout aujourd'hui érigée
en modèle, qui fait de la volonté du peuple la source du pouvoir,
implique en effet que le pouvoir constituant, manifestation
juridique de la souveraineté, appartienne au peuple qui
en est l'incommutable titulaire 17
. Elle admet paradoxalement
que ce peuple est, comme le disait Hobbes, « une multitude
désunie » 18
et incapable d'exprimer sa volonté, d'où la nécessité
de le représenter. L'idée du peuple détenteur du pouvoir
constituant est donc à l'origine une fiction. L'évolution
récente tend à faire passer de la fiction à la réalité : le peuple
passe du statut de titulaire anonyme du pouvoir constituant à
celui de détenteur effectif. Le peuple constituant est dès lors
transfiguré. De nouveaux moyens de « démocratie continue »,
pour emprunter à la théorie de Dominique Rousseau, permettent
en effet au peuple d'exercer effectivement le pouvoir
15 C. Isidore, « Le pouvoir constituant peut-il tout faire ? » in L'esprit des institutions,
l'équilibre des pouvoirs. Mélanges en l'honneur de Pierre Pactet, 2003, Paris, Dalloz,
p. 237-252.
16 Olivier Beaud avait déjà montré que la souveraineté du peuple peut être menacée
par le pouvoir politique et le pouvoir juridictionnel qui tente de se substituer à
sa volonté.
17 O. Beaud, « Maastricht et la théorie constitutionnelle », LPA 31 mars 1993,
p. 15 ; du même auteur, « La souveraineté de l'État, le pouvoir constituant et le
Traité de Maastricht », RFDA 1993, p. 1048 ; v. également la seconde partie du
livre d'Olivier Beaud qui s'intitule d'ailleurs « L'État de citoyens ou la souveraineté
constituante du peuple ».
18 Hobbes, Léviathan, ch. XVIII, p. 180. F. Tricaud.
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