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Les transformations contemporaines du pouvoir constituant
constituant. Il s'agit dès lors à ce niveau d'une transformation
des modalités d'exercice du pouvoir constituant par le
peuple. L'on peut donc, en tenant compte de ces nouveaux
modes d'expression, parler avec Maurice Duverger du passage
« d'un peuple gouverné » à « un peuple qui gouverne » ;
mieux, du peuple représenté au peuple déconstituant, et de
peuple consulté à peuple coconstituant.
Du peuple représenté au peuple déconstituant. Le pouvoir
constituant originaire intervient en principe en cas de vide
constitutionnel. Il implique non seulement le pouvoir de
faire la Constitution, mais aussi de la défaire en la suspendant
ou la révoquant. L'échec de la démocratie délégative conduit
en effet le peuple dans des situations critiques (par des coups
de force), mobilisé par des acteurs collectifs ou individuels
parlant et agissant en son nom, à défaire la Constitution ou
le régime politique. Le pouvoir déconstituant du peuple a été
récemment illustré par le « printemps arabe » 19
qui a commencé
en Tunisie en 2010 et s'est propagé dans le reste du
Maghreb et au Moyen-Orient 20
. Le peuple usa de méthodes
non violentes (sit-in) et surtout des moyens de communication
modernes (internet, télévision satellitaire) pour provoquer
des mutations constitutionnelles.
Du peuple consulté au peuple legisconstituant. Ce qui est
classiquement appelé « procédés démocratiques d'élaboration
et d'adoption de la Constitution » correspond en réalité à
des techniques qui ne font intervenir que très indirectement
le peuple. Le constitutionnalisme moderne semble avoir
inventé de nouveaux mécanismes permettant une participation
effective du peuple au pouvoir constituant. L'on passe
du peuple consulté au peuple legisconstituant. La citoyenneté
constituante se manifeste aussi bien au niveau de l'initiative,
de la rédaction, de la discussion sur la Constitution qu'à son
adoption.
Pour ce qui est de l'initiative constitutionnelle, il est désormais
reconnu au peuple le droit d'initiative d'un référendum
pour une nouvelle ou une révision constitutionnelle. C'est
le cas dans les référendums d'initiative populaire ou citoyen
(Suisse, Italie) ou d'initiative partagée (France).
Pour ce qui est de la rédaction et de la discussion sur la nouvelle
Constitution, elles prennent également un rôle plus
accru. Elles participent par les réseaux sociaux, les forums au
débat démocratique et à l'écriture de la Constitution 21
. Au
Bénin, le comité de rédaction de la Constitution de 1990
avait fait un appel à la participation des citoyens. Il en fut de
même au Cameroun où l'élaboration de la « Constitution » de
19 L'expression « printemps arabe » a été choisie par analogie avec les noms de certains
mouvements, tels le « Printemps des peuples », de 1848, le « Printemps de
Prague », la « chute du rideau de fer » en 1989, ou le « Risorgimento » italien,
v. R. Ben Achour et S. Ben Achour, « La transition démocratique en Tunisie : entre
légalité constitutionnelle et légitimité révolutionnaire », RFDC 2012, p. 715.
20 M. Touzeil-Divina, « Printemps et révolutions arabes : un renouveau pour la
séparation des pouvoirs ? », Pouvoirs 2012/4, n° 143, p. 29 à 45.
21 Rapport général de 2010 sur l'amendement constitutionnel. V. aussi Commission
de Venise, rapp. n° CDL-AD(2010)001, session plénière (Venise, 11-12 déc.
2009) sur l'amendement constitutionnel, p. 12.
1996 fut précédée par un appel à la participation constituante
du peuple, sous forme de propositions et de mémorandums.
Pour ce qui est enfin de l'adoption, le principe du référendum
est désormais exigé pour l'adoption d'une nouvelle
Constitution (Autriche, Espagne), d'une révision (Andorre,
Irlande) ou de la modification de certaines dispositions ou
matières constitutionnelles (Estonie) 22
.
2. Les détenteurs circonstanciels du pouvoir
constituant originaire
Le phénomène de fragmentation du pouvoir constituant est
réel. Il est en certaines circonstances le privilège de la communauté
internationale, la junte constituante ou des acteurs
politiques particuliers agissant dans le cadre d'une conférence
constituante.
L'exercice du pouvoir constituant par la communauté
internationale. Cet exercice a été historiquement justifié
par la défaillance des États touchés par les ravages de la
guerre ou d'une crise politique 23
. La Constitution de BosnieHerzégovine
de 1995 est le modèle de « Constitution internationale
». Elle traduit une certaine contrainte tutélaire
menée par l'international sur le pouvoir constituant 24
. Elle
intervient à la fin de la guerre faisant suite à l'éclatement de
la Yougoslavie en 1991 25
. Il s'agit ni plus ni moins d'une
appropriation du pouvoir constituant. Les étapes classiques
d'adoption de la Constitution (élections d'une assemblée
constituante, discussions et amendements parlementaires)
n'ont pas été respectées.
Les processus de sortie de crise sont souvent des théâtres de
médiation constituante. Dans ces situations d'élaboration des
constitutions matérielles, qualifiées souvent de « paraconstitutions
» 26
, le pouvoir constituant est exercé par le média.
Contrairement au pouvoir
teur et les participants à la conclusion de l'accord de cessation
des hostilités ou de transition 27
constituant classique, le pouvoir constituant de la médiation
privilégie, comme voie d'adoption, la négociation ou le dialogue
entre les parties au conflit. C'est le cas de l'accord global
et inclusif sur la transition en République démocratique
22 Commission de Venise, rapp. n° CDL-AD(2005)034, session plénière (Venise,
21-22 oct. 2005), le référendum en Europe - Analyse des règles juridiques des
États Européens, p. 6.
23 Q. Barnabé et L. Paiola, « Le processus constitutionnel de l'État en crise exercé
sous la contrainte internationale : étude du cas de Bosnie-Herzégovine », Revue
Juridique de l'Ouest, 2015, n°3, p. 43.
24 L.-M. Konan, Le transfert du pouvoir constituant à une autorité internationale,
thèse, 2007, Université de Nancy 2, p. 442.
25 G. Conac, « L'insertion des processus constitutionnels dans les stratégies de paix :
cinq exemples de constitutions post-conflictuelles », in N. Belloubet-Frier et a.
(dir.), Études en l'honneur de Gérard Timsit, 2004, Bruxelles, Bruylant, p. 51-52.
26 L. Sindjoun, « Les pratiques sociales dans les régimes politiques africains en voie
de démocratisation : hypothèses théoriques et empiriques sur la paraconstitution
», Canadian Journal of Political Science, 40/2, juin 2007, p. 465-485.
27 Ce pouvoir doit d'autant plus être pris au sérieux que les dispositions des accords
de paix neutralisent souvent les dispositions de la Constitution formelle en
vigueur : c'est le cas de la Côte d'Ivoire où le Conseil constitutionnel, dans une
décision du 28 octobre 2009, a admis que les conditions d'éligibilité des candidats
à l'élection présidentielle n'étaient pas seulement fixées par la Constitution, mais
aussi par les accords de Linas-Marcoussis qui permettaient de faire des dérogations
sur la limite d'âge ou encore sur la question de la nationalité.
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