Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger 1-2024 - 151

Les transformations contemporaines du pouvoir constituant
(Bill of rights). La Cour constitutionnelle, en septembre,
refusa de certifier la nouvelle Constitution pour non-respect
de certains de ces principes 59
. Et l'assemblée constituante dut
procéder, en octobre 1996, à l'adoption de la Constitution
amendée suivant les orientations de conformité avec les principes
constitutionnels, qui avaient été posées dans la décision
de la Cour constitutionnelle 60
. C'est le 14 décembre 1996,
à l'occasion de l'audience de certification du texte amendé
de la Constitution, que la Cour Constitutionnelle certifia la
Constitution adoptée par l'assemblée constituante. La sanction
de la conformité de la Constitution de l'Afrique du Sud
par rapport aux 34 principes constitutionnels montre qu'il
existe en Afrique du Sud « un double degré de constitutionnalité
» (v. Les grandes décisions de la justice constitutionnelle
africaine 61
), conséquence du dédoublement différencié et hiérarchisé
de l'exercice du pouvoir constituant originaire.
L'exemple burundais est tout aussi instructif. L'accord
d'Arusha de 2000 mettant fin à 12 ans de guerre burundaise
est assez particulier. Les acteurs de cet accord conclut sous
l'égide de la communauté internationale avait lié le pouvoir
constituant originaire qui adopta finalement la nouvelle
Constitution en 2005. L'article 47 de l'accord prévoyait
d'ailleurs qu'« en cas de conflit entre les autres dispositions
de la Constitution et celles de l'accord de paix, ces derniers
prévalent ». La question de la préséance entre l'accord et
la Constitution s'est posée devant le juge constitutionnel
burundais. Dans son arrêt du 5 mai 2015, il rappelle que « les
accords d'Arusha pour la paix et la réconciliation doivent être
respectés dans leur esprit et dans leur lettre (...) », que lesdits
accords doivent être considérés comme la « véritable, obligatoire
et incontournable source d'inspiration du constituant
burundais ».
2. La limitation politique du pouvoir constituant
originaire
L'expérience des processus constituants dans le monde permet
d'envisager une limitation politique du pouvoir constituant
originaire. Comme l'exigent les partisans de la thèse
de l'illimitation, il faut identifier l'organe chargé d'assurer
une telle limitation. Alors que dans le processus d'adoption
de la Constitution japonaise de 1947 62
, cet organe se trouve
être une autorité militaire, l'expérience française de 1946 et
chilienne de 2023, permettent de faire la distinction entre le
peuple souverain et le pouvoir constituant et d'envisager la
limitation de celui-ci par celui-là.
59 Arrêt de la Cour constitutionnelle sud-africaine du 5 septembre sur la certification,
v. L. Sindjoun, Les grandes décisions de la justice constitutionnelle africaine.
Droit constitutionnel jurisprudentiel et politiques constitutionnelles au prisme
des systèmes politiques africain, 2009, Bruxelles, Bruylant, p. 185 à 290.
60 N. Lenoir, « Le nouvel ordre constitutionnel en Afrique du Sud », Cahiers du
Conseil constitutionnel 1996, n° 1, p. 1.
61 L. Sindjoun, Les grandes décisions de la justice constitutionnelle africaine. Droit
constitutionnel jurisprudentiel et politiques constitutionnelles au prisme des systèmes
politiques africains, 2009, Bruxelles, Bruylant, p. 185 à 290.
62 Sur la Constitution japonaise de 1947, v. H. Yamamoto, « Les trois temps pour
la liberté du pouvoir constituant », in A. Viala (dir.), La Constitution et le temps,
2003, L'Hermès, p. 13 à 25.
La limitation du pouvoir constituant originaire par une
autorité militaire extérieure. La théorie décisionniste de
Carl Schmitt permet d'expliquer l'expérience constitutionnelle
japonaise de 1946 : la décision du général Douglas
MacArthur étant considérée comme le fondement du droit 63
.
La procédure d'adoption de la Constitution japonaise actuelle
dénommée « Constitution MacArthur » ou Constitution made
in occupied Japan 64
illustre clairement la théorie du « double
palier » du pouvoir constituant. Il y a tout d'abord un organe
dénommé Supreme Commender for the Allied Powers constitué
d'un personnel d'environ 100 civils et des militaires qui
en une semaine rédigea le premier projet de Constitution
(différent du projet initialement soumis par le cabinet kijuri
Shidehara et rejeté par le général pour non-conformité aux
principes de postdam 65
) et ensuite l'assemblée constituante
(la Diète) qui l'adopta le 3 novembre 1946.
MacArthur était considéré par des civils japonais et des personnalités
politiques comme « la nouvelle force impériale du
japon » ou encore « une réincarnation du shogun ». Il joua
en réalité un rôle de tutelle constituante qui fait penser aux
catégories proposées par Jon Elster de « roi » (pour représenter
l'assemblée constituante) et de « faiseurs de roi » (pour représenter
les autorités en place lors du processus constituant) 66
.
La limitation du pouvoir constituant originaire par le
peuple souverain. Les processus constituants français de
1946 et chilien de 2023 montrent clairement qu'il peut y
avoir une distinction entre le peuple souverain et le pouvoir
constituant originaire, avec comme conséquence la soumission
du premier au second. La « souveraineté du pouvoir
constituant » souvent évoquée est une souveraineté d'action
qui signifie en principe « possibilité de constituer sans limite »
et non une souveraineté perpétuelle, qui elle repose suivant la
philosophie politique issue de la révolution sur le « peuple »
ou « la Nation ». Une telle distinction acquise, il devient
aisé d'affirmer que la limite du pouvoir constituant serait le
peuple 67
.
63 S. Serverin, « La légitimité de la Constitution dans la doctrine constitutionnelle
japonaise », Droit et Cultures 2009, n° 58, p. 179.
64 T. Fukase, « Le fonctionnement de la Constitution japonaise de 1946 », RIDC
1959, p. 24.
65 Ibid., p. 365-382. Le général avait en effet imposé à la constituante « les trois principes
de potsdam » : le pacifisme (exprimé dans le préambule et en son article 9
et manifesté par le refus d'une force armée), le respect des droits de l'Homme et
la souveraineté non plus impériale mais populaire.
66 J. Elster, « Forces and Mechanisms in the Constitution-Making Process » Duke
Law Journal. Vol. 45, n° 2, Nov. 1995, p. 364-396.
67 Pourquoi en est-on arrivé à confondre le peuple souverain et le pouvoir constituant
? L'une des raisons de la confusion tient à ce que l'acte du pouvoir constituant
est presque automatiquement adopté par le peuple (souverain) lors du
référendum au cours duquel il est appelé à se prononcer. Ainsi que le révèle une
étude récente, 94 % de Constitutions élaborées dans le monde entier entre 1789
et 2016 ont été ratifiées avec succès. N'empêche que le rejet d'un acte constituant
originaire par le peuple n'est point une hypothèse d'école ; deux exemples
sont à ce propos fort instructifs : le processus constituant ayant abouti au texte
du 27 octobre 1946 en France et l'expérience chilienne de 2023, v. Z. Elkins
et A. Hudson, « The Strange Case of The Package Deal : Amendments and
Replacements in Constitutional Reform », in R. Albert et R. Stacey (dir.), The
Limits and Legitimacy of Referendums, Oxford, Oxford University Press, 2022,
p. 37.
Re vue du dr oit public * Mar s 2024
151

Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger 1-2024

Table des matières de la publication Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger 1-2024