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Doctrine
serment reste le même d'un pays à un autre, l'expansion du
phénomène a pris deux formes.
La première est celle des prestations de serment qu'on qualifierait
d'abrupte. Exclusivement destiné à clôturer l'installation
du pouvoir militaire, ce type de prestation de serment est unilatéral
et vertical. Dans ces cas, seuls les militaires décident de
la prestation de serment et l'imposent aux institutions par le
seul argument de la force brute. Il n'est nul besoin d'adhésion
à leur projet ni de prétexte juridique à cette prestation. La
prestation de serment du colonel Assimi Goïta au Mali est à
cet égard à la fondation des prestations de serment abruptes.
Elle a non seulement inauguré le cycle mais a surtout décomplexé
les militaires de tous les pays. Le serment prêté, le 7 juin
2021, par un colonel double putschiste en treillis militaire,
képi religieusement posé sur la tête, est le point de départ de
la série de prestations qui depuis lors installe habilement mais
illégalement, avec la complicité des juges, les militaires dans
les fonctions de chefs d'État. La question qui surgit naturellement
de cette alliance baroque entre la kalachnikov et le
droit, le treillis et la toge est toute simple : les juges ont-ils
le droit de couvrir un coup d'État, c'est-à-dire une atteinte
manifeste à l'État de droit, en mobilisant ainsi banalement à
son profit les ressources de la démocratie et le prestige de leur
juridiction ? Hélas, l'évocation de cette question est tardive et
notre réflexion arrive dans un monde trop vieux. Le serment
des putschistes connaît déjà un essor surprenant en Afrique
noire francophone.
La meilleure preuve en est que, en Guinée, au Burkina Faso
et au Gabon, les auteurs directs de coups d'État se succèdent
sans état d'âme sur des estrades dressées face aux juges de leur
pays. Les temps ont bien changé car, pour prêter serment,
certains se présentent dans le traditionnel treillis, d'autres en
vareuse de maréchal, képi au point, lunettes noires au nez
et aux mains, des gants d'un blanc immaculé. Le capitaine
Ibrahim Traoré a même eu le droit de prêter serment et de
s'adresser aux Burkinabés le visage couvert de la cagoule qui
préserve d'ordinaire l'anonymat des forces spéciales. On
a là la manifestation la plus martiale du « retour des militaires
» 35
, annoncé par Pierre Jacquemot. Dans ces pays, tous
les putschistes se précipitent devant les juges et espèrent ressortir
des cérémonies de prestation de serment, du moins le
croient-ils, avec la légalité de la charge. En Guinée, la prestation
de serment du colonel Doumbouya est en droite ligne de
celle qu'a modélisée la junte malienne. Le 1er
octobre 2021,
le commandant du groupement des forces spéciales qui a
destitué Alpha Condé prête serment devant la Cour suprême
en uniforme d'apparat beige, béret rouge, lunettes noires et
gants blancs. Quelques mois après le Mali, les militaires guinéens
reproduisent trait pour trait la formule de « régularisation
» du coup d'État. La voie est ainsi toute tracée pour les
putschistes burkinabé et gabonais.
35 P. Jacquemot, Afrique, la démocratie à l'épreuve, 2022, Paris, Jean Jaurès éditions
et éditions de l'Aube, p. 31-36.
Le 16 février 2022, soit quelques jours après son coup
d'État 36
, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba
prête serment devant le Conseil constitutionnel. À peine
10 mois après la cérémonie censée régulariser sa prise de
pouvoir, Paul-Henri Sandaogo Damiba est contraint par
les armes de céder le pouvoir au capitaine Ibrahim Traoré.
Le 21 octobre 2022, le coup d'État dans le coup d'État est
consommé par la prestation de serment du jeune capitaine
qui, comme son prédécesseur, se présente devant les mêmes
juges pour obtenir onction et caution. Le Gabon est le récent
théâtre de cette manœuvre. La prestation de serment du général
Oligui Nguéma est plus impressionnante tant sur le fond
que sur la forme. Sur le fond, l'acte suscite de nombreuses
interrogations. Dans une chronique 37
brève mais fort intéressante,
Éric Ngango Youmbi a récusé la légalité de la cérémonie
en mettant le doigt sur ses « erreurs de couture ». Malgré
ses failles, cette cérémonie a eu lieu et a d'ores et déjà aidé à
installer le commandant de la garde présidentielle dans les
fonctions de chef d'État du Gabon.
La deuxième forme de prestation de serment peut être qualifiée
de consensuelle. Cette modalité a été mise en œuvre au
Tchad 38
. Pour mieux prendre la mesure des actes posés par le
régime militaire de N'Djamena, il faut se souvenir qu'après
l'assassinat d'Idriss Déby Itno, son fils, Mahamat Idriss Déby
Itno, commandant des forces spéciales tchadiennes a été
porté à la tête de l'État. Selon la version officielle à laquelle
personne ne croit, c'est le refus du président du Sénat et à
sa suite, du premier vice-président de la chambre haute du
Parlement, appelé à la succession du président défunt, qui
a donné la main aux généraux tchadiens. Quoi qu'on en
pense, qu'on y croit ou non, la cooptation de Mahamat Idriss
Déby Itno par l'armée viole les dispositions pertinentes de la
Constitution 39
. Même si sur la forme les militaires n'ont pas
renversé un chef d'État en fonction, l'on souscrit volontiers
à l'avis argumenté par Robert Dossou pour qui la succession
d'Idriss Déby Itno « n'est rien d'autre qu'un putsch » 40
la suite de cette prise illégale du pouvoir, les généraux tchadiens
comme les juntes militaires voisines se débarrassent de
la Constitution et dissolvent les institutions. Mais la comparaison
s'arrête à ces décisions car au Tchad la prise en main
36 Le 24 janvier 2022, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba a renversé
Roch Kaboré, président du Burkina Faso en fonction depuis décembre 2015.
37 E. Ngango Youmbi, « Imbroglio, rafistolage constitutionnels autour du serment
du président de la transition au Gabon », texte inédit, sept. 2023, p. 1-4.
38 J. Tubiana, « Le Tchad sous et après Déby : transition, succession ou régime
d'exception », Politique africaine 2021/4, n° 164, p. 121-140.
39 V. Constitution tchadienne du 4 mai 2018 révisée par la loi constitutionnelle
n° 017/PR/2020 du 14 décembre 2020. L'article 81 qui nous intéresse tout particulièrement
dispose : « En cas de vacance de la présidence de la République
pour quelque cause que ce soit ou d'empêchement définitif constaté par la Cour
suprême saisie par le Parlement réuni en congrès et statuant à la majorité absolue
de ses membres, les attributions du président de la République, à l'exception des
pouvoirs prévus aux articles 86, 89, 96, 97, 98, 99 et 101 sont provisoirement
exercées par le président du Sénat. En cas d'empêchement de ce dernier, l'intérim
est assuré par le premier vice-président du Sénat. Dans tous les cas, il est procédé
à de nouvelles élections présidentielles 45 jours au moins et 90 jours au plus, après
l'ouverture de la vacance ».
40 R. Dossou, « La démocratie en Afrique : un état des lieux préoccupant »,
Questions internationales, sept.-oct. 2022, n° 115, p. 43.
. À
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