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De quoi l'institution est-elle le nom ?
qu'elles fixent à l'intention des joueurs : elles n'ont lieu que
dans le cadre d'une partie de ce jeu et par référence mentale
à la réglementation sous-jacente qui lui est applicable. C'est
exactement de la même façon qu'il faut entendre, semble-til,
les « institutions-choses » qu'Hauriou et ses continuateurs
évoquent : ce sont des choses correspondant à des contenus
de règles juridiques, à des régimes juridiques, et qui n'ont lieu
que dans le monde artificiel que ces règles superposent mentalement
au monde réel - ce qu'on appelle couramment (sans
trop avoir à l'esprit ce que cette appellation recouvre au juste)
« le monde juridique » 15
sont des institutions-choses » 16
. Ainsi, « la propriété ou le mariage
, comme la responsabilité
civile, les mandats ou les testaments : il ne s'agit pas de faits
naturels bruts, de pures données de la perception, mais de
faits qui se rapportent à des règles juridiques et aux régimes,
concepts et étiquetages qu'elles articulent ; c'est la réalité virtuelle
vue et vécue à travers le filtre de cette réglementation.
À la lueur de cette analyse, les formules floues utilisées par
Hauriou s'éclairent : les institutions-choses sont les règles du
droit en tant qu'idées, en tant qu'entités qui se déploient en
elles, qui sont conçues à travers elles. En qualifiant ces entités
d'« existences juridiques particulières », il veut évoquer
leur appartenance au monde du droit, leur artificialité dont
le sentiment s'émousse peu à peu dans le milieu social avec le
temps et « l'adhésion des esprits », elles finissent par sembler
aussi naturelles que les entités proprement naturelles : on finit
par ne plus se rendre compte de ces lunettes juridiques que
nous portons.
Mais les institutions-personnes sont-elles vraiment d'un autre
type ? Hauriou les englobe d'ailleurs, comme il ressort des
fragments que j'ai cités, dans la qualification d'« existences
juridiques particulières » : l'Assemblée Nationale, le Conseil
d'État ou les sociétés anonymes ne sont pas des entités
visibles, perceptibles, appartenant purement et simplement
au monde sensible ; ce ne sont rien d'autre que des entités du
monde du droit, de ce monde virtuel dans lequel les règles
juridiques nous font entrer et nous font vivre ; elles sont inséparables
de ces règles juridiques et de l'expérience de direction
des conduites à laquelle elles donnent lieu. Ce sont aussi
des « choses juridiques » 17
.
On voit, en fin de compte, que la théorie de l'institution
n'aboutit nullement à remettre en cause la réduction du droit
à des règles ; elle tend, au contraire, à la confirmer puisque
les institution-choses comme les institutions-personnes apparaissent
indissociables de ces règles. Mais, surtout, où est
l'« institution » dans tout cela ?
15 Sur ce « monde du droit », v. mon étude « Si le droit m'était conté », in P. Amselek,
Écrits de philosophie du droit, 2019, Éditions Panthéon-Assas, p. 175 et s.
16 J.-F. Kervégan, « Éléments d'une théorie institutionnelle des droits », Revue
Philosophique 2011-21, p. 126.
17 Hauriou note en ce sens que les institutions-personnes, par exemple « la Banque
de France, la Ville de Paris, l'État lui-même », « vivent d'une vie objective » dans
nos esprits, à travers la mémoire qui les y maintient et leur propagation « d'un
esprit à l'autre » (M. Hauriou, Aux sources du droit, 1933, rééd. 1986, Centre de
philosophie politique et juridique de l'Université de Caen, p. 100).
II. L'institution, acte d'autorité
fondamental dans l'expérience
juridique et éthique
L'institution est absente de la théorie de l'institution ; on parle
d'elle, on mentionne tout le temps son nom, mais les projecteurs
ne sont pas braqués sur elle. De quoi est-elle donc le
nom ? Le doyen toulousain a fait fausse route en la localisant
au niveau de l'être même du droit, de sa constitution, de ce
qui le définit. Elle n'est pas une pièce manquante à ajouter au
concept de droit des positivistes et normativistes. Il ne fait pas
sérieusement de doute que le périmètre du droit ne s'étend
pas au-delà des règles juridiques. Le concept qui nous a été
légué par la tradition juridique romaine est indépassable : jus
est quod jussum est ; le droit, c'est ce que les commandements,
les règles de droit mises en vigueur - « posées » - par les dirigeants
publics fixent, les droits ou possibilités d'action qu'ils
assignent autoritairement aux citoyens, qu'ils impartissent
respectivement aux différents membres de la Cité (y compris
ceux qui exercent une fonction de gouvernance). C'est
précisément au niveau des actes d'autorité accomplis par ces
dirigeants ou sur leur habilitation - ce qu'on dénomme couramment
des actes juridiques - qu'il faut se placer pour déceler
ce qu'est véritablement l'institution : elle a, en effet, dans son
essence la plus générale, la nature d'un acte, d'un agir, et plus
précisément d'un acte d'autorité ; et les institutions juridiques
sont, plus spécifiquement, des actes d'autorité effectués dans
l'expérience juridique, qui en font partie et où ils jouent un
rôle de premier plan.
Les actes juridiques ne sont pas de simples prononcés de
paroles d'un certain type ; ce sont ce qu'on appelle couramment
aujourd'hui des « performatifs » ou « actes de langage »,
c'est-à-dire des actes ou agissements sociaux accomplis en parlant,
au moyen de paroles communiquées oralement ou par
écrit. Ce qui m'a amené, dans de précédents travaux, à les étudier
à la lueur particulièrement éclairante de la théorie générale
des actes de langage qui a été fondée par le philosophe
anglais John Austin et affinée par l'américain John Searle. Un
examen critique de la classification peu élaborée des actes de
langage proposée par ce courant philosophique m'a inspiré
de ramener les actes juridiques à deux grandes catégories : les
actes prescriptifs et les actes déclaratifs. Cette seconde catégorie
correspond, dans son principe, aux actes d'institution
et permet, notamment, de rendre compte de l'institution des
« institutions-personnes » dont parlent Hauriou et les institutionnalistes
; je me propose de reprendre ici, succinctement,
cette analyse que j'ai antérieurement développée 18
. Mais je
veux profiter de l'occasion qui m'est donnée pour aller plus
loin et présenter une analyse plus fine, reconnaissant, en
définitive, à tous les actes juridiques, y compris les actes juri18
Je l'ai principalement exposée in P. Amselek, « Philosophie du droit et théorie
des actes de langage », in P. Amselek (dir.) Théorie des actes de langage, éthique
et droit, 1986, PUF, p. 109 et s. ; P. Amselek, Cheminements philosophiques dans
le monde du droit et des règles en général, 2e
p. 324 et s. et 365 et s.
éd., 2022, Éditions Panthéon-Assas,
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