Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger 1-2024 - 184

200d0
DOCTRINE
Marie-Caroline vinCent-LegoUx
Maître de conférences en droit public à l'université de Bourgogne
Membre du Centre de recherche et d'étude en droit et science politique (CREDESPO)
RDP200d0L'ordre public, vecteur de la transition écologique
L'émergence de l'ordre public écologique en droit de la commande publique
L'ESSENTIEL
L'ordre public écologique émerge en droit de la commande publique pour assurer l'exercice effectif du droit de vivre
dans un environnement équilibré et respectueux de la santé proclamé par la Charte de l'environnement. Il fonde
des règles impératives qui limitent la liberté contractuelle afin de garantir le respect du patrimoine naturel lors
de la définition du besoin de l'Administration justifiant la conclusion d'un contrat de la commande publique, de la
détermination des clauses du marché public ou du contrat de concession et du choix du cocontractant. Il intervient
au service de la transition écologique en raison de l'urgence climatique mais son effectivité suppose de reconnaître
qu'il figure parmi les valeurs d'ordre public de premier rang au motif que la nature est d'intérêt vital pour l'humanité
donc conditionne la vie en société.
L
'ordre public en droit interne limite les libertés, tant
dans les relations sociales que dans les rapports juridiques,
au moyen d'ordres, d'interdictions et de commandements.
Il fonde en particulier les décisions de police
administrative, les incriminations pénales et les règles juridiques
impératives. Mais uni aux libertés par une relation
dialectique, il les garantit aussi et limite les pouvoirs habilités
à les restreindre. C'est essentiellement ce rôle protecteur
des libertés qui distingue l'ordre public de l'intérêt général.
Désignant les valeurs sociales nécessaires à la paix sociale et
celles qui définissent un projet d'harmonie sociale, il ordonne
le système juridique étatique en fonction de l'« idée de
droit » 1
retenue par la société. Les valeurs sociales protégées
par l'ordre public sont elles-mêmes hiérarchisées grâce à un
ordre de priorité assorti d'une mesure de conciliation. L'ordre
public qui apporte ainsi une réponse juridique à des problèmes
éthiques, des conflits de valeurs, apparaît comme la
« norme des normes » permettant de trancher de tels conflits 2
.
« Le fondement de l'effet normatif de l'ordre public n'est
pas formel mais matériel : il renvoie à la valeur des intérêts
sociaux qui le constituent aux yeux des acteurs juridiques » 3
.
L'ordre public écologique en droit interne peut être défini
comme un élément de la notion d'ordre public, par lequel,
pour garantir le droit de vivre dans un environnement équilibré
et respectueux de la santé proclamé par la Charte de
l'environnement, l'État impose aux acteurs de la vie sociale
et juridique le respect du patrimoine naturel 4
. Il a donc une
1 Au sens que lui a donné G. Burdeau, Traité de science politique, vol. 1, t. 1, 1980,
LGDJ, n° 122.
2 M.-C. Vincent-Legoux, L'ordre public. Étude de droit comparé interne, 2001, PUF,
Les grandes thèses du droit français, préf. J.-P. Dubois.
3 J. Petit, « L'ordre public contractuel en droit administratif, un instrument traditionnel
de police », RDC mars 2020, n° RDC116u2.
4 M.-C. Vincent-Legoux, « L'ordre public écologique en droit interne », in
M. Boutelet et J.-C. Fritz (dir.), L'ordre public écologique, 2005, Bruylant, p. 81.
Pour A. Kiss, l'ordre public écologique est un « ensemble de principes élaborés
dans l'intérêt général de l'humanité et fondés sur la justice environnementale qui
base constitutionnelle dans la Charte de l'environnement
qui affirme « le droit de vivre dans un environnement équilibré
et respectueux de la santé » (art. 1) 5
et dispose que « les
politiques publiques doivent promouvoir un développement
durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en
valeur de l'environnement, le développement économique et
le progrès social » (art. 6). Le Conseil constitutionnel a dégagé
de son préambule un objectif de valeur constitutionnelle de
« protection de l'environnement, patrimoine commun des
êtres humains » 6
, qui doit être recherché au même titre que
les autres intérêts fondamentaux de la Nation, étant donné
que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne
doivent pas compromettre la capacité des générations futures
à satisfaire les leurs 7
.
permet de sauvegarder les ressources naturelles et leurs équilibres entre elles et par
rapport aux humains, ainsi que d'assurer l'accès équitable à ces ressources à toute
personne et à toute espèce vivante » (« L'ordre public écologique », in M. Boutelet et
J.-C. Fritz (dir.), L'ordre public écologique, 2005, Bruylant, p. 167). Selon N. Belaïdi,
c'est « un ensemble de règles acceptées et reconnues par tous dont le but est de
protéger les processus écologiques supports de toute vie dans la perspective d'assurer
le développement durable et le bien-être de l'humanité » (La lutte contre les
atteintes globales à l'environnement : vers un ordre public écologique ?, 2008, Bruylant,
p. 461). M. Prieur constate l'émergence d'un ordre public nouveau ayant pour
fin la protection de l'environnement, à savoir « assurer l'équilibre écologique des
diverses espèces vivantes dont l'homme » (Droit de l'environnement, 2023, Dalloz,
n° 42). E. Naim-Gesbert le décrit comme « la pensée et le système juridique dont
la singularité procède de l'éthique et du droit naturel et qui, par un système de
normes acclimatées au plus près du réel écologique, garantit la sauvegarde de la
biodiversité y compris l'homme dans la durée et de manière équitable » (Droit
général de l'environnement, 2024, LexisNexis, n° 341).
5 Les restrictions apportées à ce droit ne sont justifiées que si elles poursuivent un
objectif d'intérêt général et sont proportionnées à cet objectif (Cons. const., DC,
10 déc. 2020, n° 2020-809 : AJDA 2021, p. 1340, note G. Wernert).
6 Cons. const., QPC, 31 janv. 2020, n° 2019-823 : AJDA 2020, p. 1126, note
F. Savonitto.
7 Cons. const., DC, 12 août 2022, n° 2022-843 : Dr. adm. 2022, alerte 123 - Cons.
const., QPC, 27 oct. 2023, n° 2023-1066 : AJDA 2023, p. 1965. Cet objectif justifie
de restreindre le contrôle des limitations apportées à la liberté d'entreprendre
à celui de la disproportion manifeste mais il a cédé devant le droit au maintien des
conventions légalement conclues (Cons. const., QPC, 11 févr. 2022, n° 2021-968 :
JCP A 2022, act. 152).
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