Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger 1-2024 - 185

L'ordre public, vecteur de la transition écologique
La protection de l'environnement fait partie des politiques
fondamentales de l'Union européenne (TFUE, art. 191-193)
et c'est une exigence à laquelle sont soumises toutes les politiques
de l'Union (TFUE, art. 11) en vue de promouvoir le
développement durable. Le traité de Lisbonne ayant engagé
la lutte contre le changement climatique, l'article L. 100-4 du
Code de l'énergie modifié par la loi n° 2015-992 du 17 août
2015 et la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 au regard
de « l'urgence écologique et climatique » a fixé comme objectif
de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de
40 % entre 1990 et 2030 et d'atteindre la neutralité carbone
à l'horizon 2050, la trajectoire étant précisée dans le
« budget carbone » défini par l'article L. 222-1 du Code de
l'environnement comme le plafond national des émissions de
GES fixé par décret pour cinq ans 8
. Une question prioritaire
de constitutionnalité a suscité une décision audacieuse du
Conseil d'État laissant entendre que l'article 2 de la Charte de
l'environnement pourrait être le fondement d'une obligation
constitutionnelle de limitation des émissions de GES 9
. Le
volet « climatique » de l'ordre public écologique serait alors
reconnu par une source constitutionnelle. Il transparaît déjà
fortement dans la fiscalité française de l'environnement, au
détriment d'autres enjeux tels que la préservation de la biodiversité
10
, alors que le volet « biodiversité » de l'ordre public
écologique fonde une répression pénale sur laquelle la circulaire
de politique pénale générale du 20 septembre 2022 a
entendu mettre l'accent lorsque les infractions sont susceptibles
de lui porter des atteintes irréversibles 11
.
Après le mouvement social des « gilets jaunes » causé
par la hausse de la taxe carbone sur les énergies fossiles, la
Convention citoyenne pour le climat avait pour but de « définir
des mesures structurantes pour parvenir, dans un esprit
de justice sociale, à réduire les émissions de GES d'au moins
40 % d'ici 2030 par rapport à 1990 ». Parmi ses 150 propositions
rendues au président Macron le 21 juin 2020, la
révision de l'article premier de la Constitution pour y ajouter
que « la République garantit la préservation de la biodiversité
et de l'environnement et lutte contre le dérèglement climatique
» n'a pas abouti. Cinquante-six autres propositions
8 Le Conseil d'État a enjoint au Premier ministre de prendre des mesures supplémentaires
permettant d'infléchir la courbe des émissions avant le 30 juin 2024
(CE, 10 mai 2023, n° 467982, Cne de Grande Synthe : JCP A 2023, 2192,
note M. Torre-Schaub - CE, 1er
juill. 2021, n° 427301 : AJDA 2021, p. 2115,
note H. Delzangles - CE, 19 nov. 2020, n° 427301 : AJDA 2021, p. 217, note
H. Delzangles). Il a aussi condamné l'État sous astreinte à prendre les mesures suffisantes
pour respecter les seuils européens de pollution de l'air (CE, 24 nov. 2023,
n° 428409, Assoc. Les amis de la terre - CE, 17 oct. 2022, n° 428409 : Dr. env.
2022, p. 314, concl. S. Heynck - CE, 4 août 2021, n° 428409 : Dr. adm. 2021,
comm. M. Deffairi - CE, ass., 10 juill. 2020, n° 428409 : AJDA 2020, p. 1447,
note J.-M. Pastor - CE, 12 juill. 2017, n° 394254 : Lebon, p. 229).
9 CE, 29 mars 2022, n° 457143 : JCP A 2022, 464, note F. Savonitto : la méconnaissance
de l'obligation de vigilance environnementale posée par l'article 2 de la
Charte de l'environnement est écartée car les dispositions législatives contestées
« ont précisément pour objet la limitation des émissions de [GES] dans l'atmosphère
afin de lutter contre le changement climatique » et « qu'elles auraient un effet
négatif à long terme sur ces émissions ».
10 P. Billet et R. Dufal, « Chronique de fiscalité française de l'environnement », RJE
2021, p. 161.
11 V. aussi Circ., 9 oct. 2023, NOR : JUSD2327030C, relative à la justice pénale
environnementale.
ont été adoptées par la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021,
portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement
de la résilience face à ses effets, mais, d'une part, son
impact est limité par son délai de mise en œuvre très long
et, d'autre part, l'objectif de réduction des émissions de GES
est rehaussé à 55 % par rapport à 1990 en 2030 en vertu du
paquet européen « Fit for 55 » 12
s'est notamment intéressée à la commande publique. Elle
s'inscrit dans un mouvement de « verdissement » de la commande
publique mais apporte un changement net de perspective,
puisqu'en imposant des obligations elle révèle une
poussée de l'ordre public écologique dans cette matière. La
commande publique qui représente environ 8 % du produit
intérieur brut et 200 milliards d'euros par an apparaît depuis
plusieurs décennies comme un levier de prise en compte de
la protection de l'environnement dans l'économie française.
Si, traditionnellement, « la dépense publique qui s'effectue
à l'occasion d'un marché ne doit pas être l'instrument
d'autre chose que la réalisation du meilleur achat au meilleur
coût » 13
2004 a permis l'intégration de dispositifs protecteurs de l'environnement
en droit des marchés publics 14
commande publique a recherché un nouvel équilibre entre les
préoccupations concurrentielles et des objectifs économiques,
sociaux et environnementaux. La directive n° 2014/24/UE
du 26 février 2014 a précisé « comment les pouvoirs adjudicateurs
peuvent contribuer à la protection de l'environnement
et à la promotion du développement durable tout
en garantissant la possibilité d'obtenir pour leurs marchés
le meilleur rapport qualité/prix ». « Les impacts sociaux et
environnementaux sont désormais intégrés à l'appréciation
du meilleur achat » 15
. Depuis la loi n° 2015-992 du 17 août
2015 relative à la transition énergétique pour la croissance
verte, la « commande publique durable » a été mise au service
de la transition vers l'économie circulaire caractérisée par une
consommation sobre et responsable des ressources naturelles
et par la prévention de la production de déchets ou bien leur
réutilisation, leur recyclage ou leur valorisation (C. envir., art.
L. 541-1). La loi Climat et résilience a inséré un article L. 3-1
dans le Code de la commande publique (CCP) pour affirmer
que « la commande publique participe à l'atteinte des
objectifs de développement durable, dans leurs dimensions
économique, sociale et environnementale, dans les conditions
définies par le présent code ». Même si ces objectifs ne
sont pas jugés inhérents à la commande publique, contrairement
à l'efficacité de la commande publique et à la bonne
utilisation des deniers publics que les principes généraux du
droit de la commande publique permettent d'assurer d'après
12 Pris sur le fondement du règlement n° 2021/1119 du 30 juin 2021 établissant le
cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique, JOUE L 243, 9 juill. 2021.
13 CE, 25 juill. 2001, n° 229666, Cne de Gravelines : Contrats-Marchés publ. 2001,
comm. 188, obs. G. Eckert.
14 V. déjà CJUE, 17 sept. 2002, n° C-513/99, Concordia Bus Finland : AJDA 2003,
p. 433, note D. Blaise.
15 H. Hoepffner, « Les objectifs horizontaux de la commande publique, des obstacles
à l'efficacité ? », JCP A 2022, 2320.
. La loi Climat et résilience
, la directive européenne n° 2004/18/CE du 31 mars
. Le droit de la
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