Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger 1-2024 - 191

L'ordre public, vecteur de la transition écologique
critères d'attribution pour que le « mieux-disant » soit choisi
au regard notamment de la dimension environnementale.
Toutefois, le régime général des critères d'attribution fondé
sur le respect des principes généraux du droit de la commande
publique demeure. Pour le Conseil d'État 74
, ces nouvelles
dispositions ne sauraient avoir pour effet, en matière de
marchés publics, de déroger à l'exigence du choix de l'offre
économiquement la plus avantageuse, ni à la condition que
les critères d'attribution soient objectifs, précis et liés à l'objet
du marché ou à ses conditions d'exécution, le respect de ces
règles étant imposé par le droit européen 75
. Les critères environnementaux
ne devront pas conférer à l'acheteur public ou
à l'autorité concédante une liberté inconditionnée de choix,
de même que les critères à caractère social ou qu'un critère
« responsabilité sociétale des entreprises » 76
. Le juge administratif
a validé le critère de la quantité de CO2 émise par kilomètre
parcouru 77
, alors que celui qui ne prendrait en compte
que la quantité de CO2 émise pénaliserait les entreprises les
plus éloignées du lieu de livraison donc constituerait un critère
géographique interdit 78
. Une méthode de notation d'un
critère environnemental fondée sur un bilan carbone dont le
contenu n'est pas explicité est irrégulière 79
. La nouvelle mouture
des dispositions du CCP qui sera applicable à compter
du 21 août 2026 confirme ces restrictions (CPP, art. R. 21527).
Au
total, l'ordre public écologique qui émerge en droit de la
commande publique afin d'assurer l'exercice effectif du droit
de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de
la santé impose aux acheteurs et aux autorités concédantes
d'utiliser des outils juridiques pour garantir le respect du
patrimoine naturel lors de la définition du besoin de l'Administration,
de la détermination des clauses du contrat et du
choix du cocontractant. Toutefois, la question de savoir s'ils
seront assez efficaces pour lutter contre le réchauffement climatique
est posée 80
. Les dispositions relatives à la commande
publique de la loi Climat et résilience entreront en vigueur à
une date fixée par décret et au plus tard à l'issue d'un délai
de cinq ans, le 22 août 2026 81
, alors que le sixième rapport
du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du
74 CE, avis, 4 févr. 2021, n° 401933.
75 CJUE, 17 sept. 2002, n° C-513/99, Concordia Bus Finland : AJDA 2003,
p. 433, note D. Blaise.
76 CE, 25 mai 2018, n° 417580, Nantes Métropole : Contrats-Marchés publ. 2018,
comm. 155, obs. J.-P. Piétri - TA Bastia, 20 juill. 2022, n° 2200797 : JCP A
2022, 2353, comm. A.-M. Halpern.
77 TA Nice, 20 janv. 2015, n° 1202066.
78 CE, 12 sept. 2018, n° 420585, Dpt Haute-Garonne : Contrats-Marchés publ.
2018, comm. 243, obs. M. Ubaud-Bergeron.
79 CE, 15 févr. 2013, n° 363921, Sté Derichebourg : Contrats-Marchés publ. 2013,
comm. 104, obs. P. Devillers.
80 F. Lichère, « La loi du 22 août 2021 et la commande publique », AJDA 2022,
p. 145 ; R. Micalef, « L'insertion des clauses environnementales dans les contrats
de la commande publique : un rendez-vous manqué », JCP A 2023, 2108.
81 Cette date a été avancée au 1er juillet 2024 pour les contrats publics de production
ou de stockage d'énergies renouvelables (L. n° 2023-175, 30 mars 2023,
relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables) ou portant sur
des produits clés de la décarbonation (L. n° 2023-973, 23 oct. 2023, relative à
l'industrie verte).
82 M. Torre-Schaub, « Agir sans attendre pour le climat : la clé d'un avenir vivable.
Présentation de la synthèse du 6e
2023 », Énergie - Env. - Infrastr. 2023, étude 14.
rapport du GIEC approuvé et publié le 19 mars
83 A. Van Lang, « Les concepts, du développement durable à la transition écologique
», in C. Roux (dir.), L'environnementalisation du droit. Études en l'honneur
de Sylvie Caudal, 2020, IFJD, p. 71.
84 L. Fonbaustier Manuel de droit de l'environnement, 2018, PUF, p. 51.
85 M.-C. Vincent-Legoux, « Conflits de valeurs et police(s) de l'eau : quelle place
pour l'ordre public écologique ? », Droit et Cultures 2014, p. 51.
86 Préambule de la Charte de l'environnement. V. aussi M. Malblanc, « Existe-t-il un
ordre public écologique européen ? », RDP nov. 2021, p. 1613.
a insisté sur le lien systémique entre le climat, les
écosystèmes et la société humaine. L'affirmation de l'ordre
public écologique en droit de la commande publique au
moyen d'une surtransposition des directives européennes du
26 février 2014 pourrait en tout cas révéler que l'objectif de
développement durable est jugé insuffisant et supplanté par
celui de transition écologique. Si le développement durable
« véhicule la promesse d'un changement de modèle économique,
la croissance ne devant plus se faire au détriment
des ressources naturelles et de la qualité du milieu » 83
climat 82
, « ce
concept, récurrent au point que l'on y voit souvent un " slogan " ,
un " label " , pour ne pas dire une forme creuse voire un
oxymore, n'est en aucune façon assimilable à la protection
de l'environnement » 84
. Néanmoins, l'effectivité de l'ordre
public écologique, promoteur du respect du patrimoine
naturel, suppose de reconnaître qu'il figure parmi les valeurs
d'ordre public de premier rang 85
, au motif que la nature est
d'intérêt vital pour l'humanité, donc un préalable nécessaire à
la vie en société : « Les ressources et les équilibres naturels ont
conditionné l'émergence de l'humanité » et « l'avenir et l'existence
même » de celle-ci « sont indissociables de son milieu
naturel » 86
200d0
.
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