Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger 1-2024 - 192

CHRONIQUES
Luis-Miguel gUtiérrez
Maître de conférences en droit public, CECOJI, université de Poitiers
Chronique de droit public latino-américain RDP200b7
L'ESSENTIEL
La chronique annuelle consacrée au droit public latino-américain s'intéresse aux actualités qui ont marqué les ordres
juridiques des 19 États appartenant à ce sous-continent. Il s'agit de mettre à la disposition des lecteurs quelques
éléments de compréhension et d'analyse pour celles et ceux qui souhaitent découvrir ou approfondir la richesse de
ce droit, souvent méconnu. Malgré le fait de partager une histoire lointaine et, pour la plupart, une langue commune,
les sociétés latino-américaines postindépendance se sont dotées d'institutions politiques et de systèmes juridiques
propres et distincts les uns des autres. La chronique annuelle cherche à présenter la pluralité et la diversité des
expériences nationales ainsi que les divergences et convergences opérées par les États latino-américains lorsqu'il
s'agit de faire face à des problématiques similaires ou identiques.
L
e droit latino-américain attire progressivement l'attention
de la doctrine publiciste francophone. Malgré la
barrière linguistique qui représente parfois un obstacle
pour accéder aux sources primaires (tant de doctrine que de
droit positif), les travaux académiques en droit et science
politique relatifs à l'Amérique latine se sont multipliés ces
dernières années. Il n'est pas rare de nos jours d'accorder
une place, si petite soit-elle, aux contributions portant sur ce
sous-continent dans les colloques organisés et les publications
parues en France (et à l'étranger). Et pourtant, le droit public
latino-américain continue à être si mal connu lorsque l'on
mesure sérieusement la richesse de son histoire, après plus de
200 ans des indépendances, et l'importance de ses apports
(par ailleurs si peu reconnus) aux problématiques et enjeux
juridiques contemporains. L'amalgame souvent opéré dans
l'idée d'une Amérique latine monolithique ne fait pas honneur
à la diversité et à la complexité qui incarnent les ordres
juridiques des 19 États latino-américains 1
.
La chronique annuelle consacrée à l'actualité du droit public
latino-américain que nous inaugurons cherche modestement
à (re)présenter ce droit au prisme d'une vision panoramique
large, bien entendu dans les limites de nos possibilités et sans
aucune prétention d'exhaustivité. Elle doit se lire en complément
aux importants travaux qui sont menés par nos collègues
spécialistes de l'Amérique latine, notamment la chronique
de jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits
de l'Homme (Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux),
la Lettre ibérique et ibéro-américaine de l'université de
Pau et des Pays de l'Adour et la « Chronique de droit constitutionnel
étranger. Amérique latine » (dans la Revue française
de droit constitutionnel).
Plusieurs actualités outre-Atlantique, notamment d'ordre
politique, ont été relayées par la presse généraliste. En effet,
au tout début de l'année 2023, plus précisément le 8 janvier,
1 L'Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Chili, la Colombie, le Costa Rica, Cuba, l'Équateur,
El Salvador, le Guatemala, Honduras, le Mexique, le Nicaragua, le Panama, le
Paraguay, le Pérou, la République dominicaine, l'Uruguay et le Venezuela.
des images et vidéos incroyables nous sont parvenues de l'invasion
de la place des Trois Pouvoirs par une horde de partisans
pro-Bolsonaro, illustrant en direct la prise d'assaut et le
saccage du Parlement, la Cour suprême et le Palais présidentiel
du Planalto au Brésil. Quelques mois plus tard, le 30 juin,
le Tribunal supérieur électoral de ce pays a constaté « l'abus
de pouvoir politique » et la responsabilité de Bolsonaro dans
ces actes en raison de la diffusion de fausses informations sur
les réseaux sociaux et l'organisation d'une véritable « milice
numérique » en vue de contester les résultats des élections
présidentielles de 2022 2
. Le Tribunal a déclaré, par 5 voix
contre 2, Jair Bolsonaro inéligible jusqu'en 2030 pour ses
attaques contre la démocratie brésilienne.
Toujours sur le plan politique, les médias se sont fait l'écho
des profondes crises politiques au Pérou et en Équateur.
D'une part, la destitution par le Parlement du président
Pedro Castillo en décembre 2022 a conduit à la prise du
pouvoir, très contestée, par sa vice-présidente, Dina Boluarte,
ainsi qu'à une vague de protestation populaire qui a fait
l'objet d'une violente répression policière 3
. L'année 2023 se
termine par le refus du Parlement péruvien de modifier la
Constitution en vue d'organiser des élections anticipées et par
la volonté de Boluarte de s'accrocher au pouvoir jusqu'en juillet
2026. Sans issue démocratique possible, la crise politique
s'enlise et menace d'exploser à tout moment.
D'autre part, le dispositif constitutionnel équatorien connu
comme « la mort croisée » (Const., art. 130 et 148) a permis
en mai 2023 au président Guillermo Lasso de dissoudre l'Assemblée
nationale, qui le menaçait de destitution, accusé de
détournements de fonds publics. La solution de la crise politique
est revenue au peuple qui s'est exprimé lors des élections
législatives et présidentielles en août et octobre 2023 4
. Dans
2 V. « Chronique de droit constitutionnel étranger. Amérique Latine », RFDC
2023/3, n° 135, p. 731-733.
3 V. « Chute libre », La Lettre ibérique et ibéro-américaine, mars 2023, n° 34,
p. 12-13.
4 V. « Équateur : la démocratie au prix du sang », La Lettre ibérique et ibéro-américaine,
sept. 2023, n° 36, p. 8-10.
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