Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger 1-2024 - 196

Chroniques
A. Droit de la bioéthique
Les juridictions latino-américaines ont porté une attention
particulière aux problématiques juridiques posées par le développement
des sciences de la vie et de la santé, notamment en
matière d'interruption volontaire de la grossesse, de contraception
d'urgence et de fin de vie.
Cour suprême de justice de la Nation (Mexique),
recours d'amparo en révision n° 267/2023 :
interruption volontaire de la grossesse
Dans une décision du 6 septembre 2023, la première chambre
de la Cour suprême déclare contraires à la Constitution les
dispositions du Code pénal fédéral (art. 330 à 334) qui criminalisent
l'avortement, y compris celles qui consacrent une
exception à la responsabilité pénale dans trois situations,
à savoir : face à un danger grave de mort ; lorsque la grossesse
résulte d'un viol et ; en cas d'avortement involontaire
ou par imprudence 23
. Pour la Cour, la simple criminalisation
de l'interruption volontaire de la grossesse constitue
« un acte de violence et de discrimination en raison du
genre à l'égard des femmes et des personnes enceintes, car
elle annule leur dignité et leur autonomie, [dans la mesure
où] elles sont considérées comme des objets de régulation et
non pas comme d'authentiques sujets de droits, capables de
prendre des décisions sur leur corps et leur projet de vie » 24
.
De manière fort remarquable, la Cour précise les effets de sa
décision et les justifie dans les termes suivants : « Le seul outil
dont dispose cette première chambre pour empêcher que les
violations des droits des femmes et des personnes enceintes
à la santé et à la non-discrimination ne se reproduisent plus
est d'obliger le Congrès fédéral à abroger les normes déclarées
inconstitutionnelles » 25
. Pour ce faire, la Cour fixe un délai :
« avant la fin de la période régulière de sessions au cours de
laquelle il est informé de cette décision » 26
. Malgré l'importance
de cette décision, il convient de noter que l'interruption
volontaire de la grossesse constitue toujours une infraction
pénale dans 20 États fédérés du Mexique et que c'est à ce
niveau que la criminalisation de l'avortement pose le plus de
problèmes dans la pratique 27
.
Tribunal constitutionnel (Pérou), arrêt
n° 197/2023, dossier n° 00238-2021-PA/
TC, affaire Violeta Cristina Gómez Hinostroza :
contraception d'urgence
Dans un arrêt du 21 mars 2023, le Tribunal constitutionnel
constate, par 4 voix contre 2, la violation des droits reproductifs,
du droit à recevoir des informations et au principe
d'égalité et de non-discrimination de la requérante en raison
du refus de l'administration de lui fournir une contraception
d'urgence. Par conséquent, il ordonne au ministère de la Santé
de livrer à la requérante un contraceptif oral d'urgence (levonorgestrel)
dans n'importe quel centre de santé public du pays,
après avoir fourni les informations adéquates relatives à son
utilisation. Dans une logique préventive, le Tribunal ordonne
au ministère de la Santé de développer, en tant que politique
publique, la distribution nationale gratuite de ce contraceptif
oral d'urgence. C'est précisément l'objectif cherché par la
requérante qui avait interposé le recours d'amparo le 18 juillet
2014 en tant que victime directe de la négative étatique mais
aussi, et surtout, « en faveur de toutes les femmes ». Violeta
Cristina Gómez Hinostroza a dû mener, avec ténacité, une
véritable « bataille juridique » et attendre quasi une décennie
pour finalement avoir gain de cause.
Cour constitutionnelle (Colombie), décision
n° T-048 de 2023, dossier n° T-8.984.148 : droit
à mourir dans la dignité d'une personne en
situation de handicap
23 Cette décision s'inscrit dans un mouvement plus large de dépénalisation de
l'avortement dans les droits latino-américains et renforce une stratégie de litige
stratégique au Mexique ayant commencée au niveau de certains États fédérés. V.
« Droit constitutionnel latino-américain. Chronique de l'année 2021 », RFDC
2022/3, n° 131, p. 759-765. V. également la décision de la Cour suprême du
30 août 2023 dans le recours d'amparo n° 79/2023 relatif au Code pénal de l'État
d'Aguascalientes.
24 Notre traduction : Cour suprême de justice de la Nation (Mexique), décision du
6 septembre 2023, recours d'amparo en révision n° 267/2023, § 155.
25 Notre traduction : Cour suprême de justice de la Nation (Mexique), décision du
6 septembre 2023, recours d'amparo en révision n° 267/2023, § 239.
26 Notre traduction : Cour suprême de justice de la Nation (Mexique), décision du
6 septembre 2023, recours d'amparo en révision n° 267/2023, § 237.
27 V. https://lext.so/Q8eMAy.
28 Pour de plus amples développements, nous nous permettons de renvoyer à notre
contribution sur la fin de vie en droit colombien, à paraître dans la Revue de droit
sanitaire et social.
Dans une décision du 7 mars 2023, la Cour constitutionnelle
protège le droit à mourir dans la dignité d'une personne
en situation de handicap, soumise à un régime judiciaire de
tutelle, face au refus du comité interdisciplinaire d'effectuer
la procédure d'euthanasie en raison d'un supposé « doute raisonnable
» sur la capacité mentale du patient pour décider sa
fin de vie. La Cour constitutionnelle rappelle que le droit à
mourir dans la dignité requiert l'évaluation du consentement
libre, éclairé et sans équivoque du demandeur par des professionnels
de la santé qui sont censés déterminer la capacité de
la personne concernée (notamment à comprendre son état et
la portée de sa décision de mourir), mais qui ne doivent pas
évaluer sa capacité juridique. Les personnes en situation de
handicap, y compris celles sous protection juridique, doivent
pouvoir exercer ce droit fondamental sans discrimination. La
Cour constitutionnelle continue ainsi à garantir le mort digne
nonobstant l'omission législative du Parlement colombien
qui n'a pas été capable de réguler cette pratique, malgré les
sollicitations en ce sens de la Cour constitutionnelle, réitérées
à plusieurs reprises depuis sa décision n° C-239 de 1997 28
.
196
Re vue du dr oit public * Mar s 2024
https://www.lext.so/Q8eMAy
Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger 1-2024

Table des matières de la publication Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger 1-2024
