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Colloque
le passage de l'autorité pure à la persuasion rationnelle 17
légitimer la décision publique.
II. Motiver pour légitimer
La nécessité de la motivation croît moins à mesure que l'intervention
publique s'étend qu'au gré de l'effritement de ses
sources traditionnelles de légitimité. Dans le prolongement
des travaux de Pierre Rosanvallon 18
, la doctrine a pu identifier
dans les préoccupations liées à la transparence puis à la bonne
administration une réponse sur le terrain administratif à la
crise que subit la démocratie représentative dans le champ
politique 19
. Parce qu'elle ricoche sur la légitimité légalerationnelle
wébérienne de l'action administrative, le besoin
de renouvellement y est également devenu pressant - la
concomitance des lois Informatique et liberté, sur l'accès aux
documents administratifs et sur la motivation en attestent 20
.
À partir de la fin des années 1970, l'Administration semble
enfin s'intéresser à l'administré destinataire de ses décisions
et cherche à répondre aux insuffisances de sa nature bureaucratique
par la levée du secret des bureaux. Si cette lumière
sert l'intérêt des administrés, c'est heureux ; elle avait d'abord
vocation à servir l'intérêt du décideur, en mal de légitimité,
donc d'efficacité. Comme le soulignait encore récemment
Yves Mény, « le système bureaucratique déshumanise inéluctablement
» 21
. La motivation doit permettre à l'individu de se
situer face à la décision, qui démontre qu'elle a pris en compte
sa situation, son intérêt direct et ceux dont il a la charge. La
motivation remplit cette double fonction inclusive et didactique
ayant pour effet de renforcer l'efficacité de la décision.
Car, lue au prisme sociologique, la décision n'a pas pour seule
fonction de permettre à l'acteur d'agir mais aussi à l'agi - le
citoyen ou l'administré ici - de « supporter le monde » en se
constituant comme « intermédiaire obligé entre la liberté et
le déterminisme » 22
.
Cependant, si la motivation livre des prémisses et un résultat,
elle continue de dissimuler en grande partie le raisonnement
lui-même. L'invocation d'un intérêt - public ou privé - l'élève
au rang d'élément du raisonnement juridique ayant présidé à la
décision. Or, l'intérêt n'est qu'un objet méta- ou para- (mais
jamais pleinement) juridique 23
. Autrement dit, la convocation
d'un intérêt dans la motivation d'une décision ne peut se
17 C. Perelman, Éthique et droit, 1990, Université de Bruxelles.
18 V. not. P. Rosanvallon, L'État en France. De 1789 à nos jours, 1990, Seuil ; plus
récemment, P. Rosanvallon, La légitimité démocratique. Impartialité, réflexivité,
proximité, 2008, Seuil.
19 J.-F. Kerléo, « Comprendre l'État sous le regard de la transparence », Dr. et
société 2019, n° 102, p. 379 ; v. aussi J. Chevallier, « Le mythe de la transparence
administrative », in Information et transparence administrative, 1988, PUF, p. 244.
20 B. Lasserre, N. Lenoir et B. Stirn, La transparence administrative, 1987, PUF,
Politique d'aujourd'hui.
21 Y. Mény, Sur la légitimité, 2022, Presses de Sciences Po.
22 L. Sfez, Critique de la décision, 1973, Armand Colin.
23 P. Gérard, F. Ost et M. Van de Kerchove, Droit et intérêt, 1990, Publications des
Facultés universitaires Saint-Louis ; v. aussi M.-H. Frayssinet, La notion d'intérêt
en droit administratif, 2000, thèse dactylographiée.
24 G. Clamour, Intérêt général et concurrence, vol. 51, 2006, Dalloz, Nouvelle bibliothèque
de thèses.
25 F. Zénati-Castaing, « La signification, en droit, de la motivation », in S. Caudal
(dir.), La motivation en droit public, 2013, Dalloz, Thèmes et commentaires, p. 25.
26 Y. Mény, Sur la légitimité, 2022, Presses de Sciences Po.
. Ici se
situe probablement le point de rapprochement le plus saillant
entre motivation et intérêt. Tous deux œuvrent de concert à
rattacher in abstracto aux motifs de fait ou de droit : l'intérêt
remplit davantage une fonction de vecteur, de translation du
cas d'espèce à la catégorie juridique ayant permis l'adoption de
la décision à titre d'effet de droit. La présence d'un intérêt au
soutien d'une décision signale son utilisation par le décideur
dans le processus de sélection des options à sa disposition.
Or, parce qu'elle consiste à énoncer dans l'acte ou avec lui les
considérations de fait et de droit ayant présidé à son adoption,
la motivation présente deux caractères qui entravent la
fonctionnalité des intérêts à ce seul stade - qui empêchent la
motivation de restituer l'opération de rencontre, de confrontation,
de création ou d'absorption des intérêts en présence.
D'abord, la motivation expose des données objectives ou objectivées.
Motiver est une opération d'objectivation des données
d'un raisonnement. Or, l'intérêt est une notion plastique,
malléable, évolutive... Tant de qualificatifs pour rappeler une
idée simple : l'intérêt n'est jamais une donnée strictement
objective, il ne se révèle que dans sa fonctionnalité casuistique
pour n'être identifiable juridiquement qu'à l'occasion du rôle
qu'il joue dans l'opération de subsomption d'une situation
factuelle vers un titre juridique à agir. Cette réalité est particulièrement
saillante s'agissant de la conception française de
l'intérêt public : il ne saurait n'être que constaté car il ne se
résume ni à une addition, ni à un arbitrage ; il est marque
d'une expression volontaire, d'une construction, d'un raisonnement
qui dépasse le cadre juridique 24
. Par l'objectivation
qu'appelle la motivation, l'intérêt n'y sera présent qu'à titre de
prémisse, d'élément ou de résultat d'un raisonnement qu'il ne
révélera jamais totalement.
Ensuite, la motivation est une opération réflexive : elle est une
construction a posteriori de la décision qu'elle vient étayer,
consolider, affermir. Alors que les motifs sont antérieurs à la
décision, l'opération intellectuelle de formulation de la motivation
lui est postérieure. Au moment de motiver, il n'est
déjà plus question de décider : la décision existe, il s'agit de
l'expliquer, permettre sa mise en œuvre et assurer sa pérennité.
Opération de « rationalisation ex post » 25
, la motivation est
un discours dans lequel l'intérêt est pur outil de conviction,
œuvrant à la défense préventive de la décision.
Pour autant, la motivation n'est pas pure instrumentalisation
rhétorique : obliger l'Administration à motiver revient à la
contraindre à prendre en considération les éléments qu'elle
n'aura pas d'autre choix que de faire figurer dans sa motivation.
De ce point de vue, la motivation améliore la décision
et participe de sa légitimation procédurale 26
. Si cette fonction
est déjà assurée, du point de vue de l'Administration,
par le développement du contrôle juridictionnel des motifs,
ceux-ci se distinguent radicalement de la motivation du point
de vue de l'administré, destinataire de (ou intéressé par) la
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