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Colloque
décision. Les deux éléments appartiennent à des logiques et
temporalités différentes : celle de la compréhension ou celle de
la contestation. La motivation explique les choix opérés parmi
les options offertes par le droit et constitue ainsi autant une
source d'information que d'arguments - à la contestation de
la décision, elle adjoint le combat contre le processus de prise
de décision. Parce que l'Administration en est parfaitement
consciente, la motivation devient l'objectivation d'une stratégie
de défense de la décision.
III. Motiver par intérêt
Motiver une décision administrative sert essentiellement
l'Administration. L'intérêt du destinataire n'est que peu pris
en compte dans la détermination d'une nécessité de motiver
- ce critère intuitif ne se vérifie pas. Le constat est rapide
à dresser 27
vices de procédure, dont l'esprit pourrait être étendu vers une
fonctionnalité contentieuse différente - non pas « danthonyser
» l'obligation de motivation quand elle a l'heur d'exister,
ce serait un comble. En revanche, quel obstacle interdit au
Conseil d'État de formuler une règle de motivation des décisions
ayant un effet notable sur la situation de leurs destinataires
- autrement dit, une règle de motivation au prisme des
intérêts en jeu ? Peut-être s'est-il trop tôt lié les mains en affirmant
l'inexistence d'un principe général de motivation avant
même que le législateur refuse expressément de le consacrer.
Si la position formaliste de notre droit administratif déçoit,
cela tient largement à ce qu'elle contredit l'intuition initiale :
la motivation n'est pas le lieu privilégié de rencontre, de
confrontation, de reconstruction voire d'invention des intérêts.
Formelle 35
, la motivation demeure une opération uni:
les obligations spéciales de motivation interviennent
autant dans des domaines où se joue à l'évidence une
confrontation majeure d'intérêts que sur des terrains où leur
prégnance est moins évidente. Surtout, la sévérité jurisprudentielle
dans l'interprétation de la spécialité de la règle issue
de la loi de 1979 concernant les décisions défavorables révèle
combien l'importance des intérêts en présence est indifférente
à l'existence d'une règle de motivation 28
.
De manière générale, le principe d'absence de motivation
peine aujourd'hui à convaincre. Le critère de l'incidence de
la décision sur la situation du destinataire a peut-être inspiré
plusieurs fois le législateur 29
, pas davantage. Or, ce critère des
incidences de la décision sur la situation de ceux à qui elle
s'adresse ou s'applique gouverne les solutions contentieuses en
matière de recevabilité depuis trois décennies et, plus récemment,
sur la légalité externe. En effet, ce n'est autre que la préoccupation
tirée des effets potentiels des décisions sur l'intérêt
des élèves 30
, puis des militaires ou des détenus 31
, qui a conduit
à la réduction drastique de la catégorie des mesures d'ordre
intérieur depuis les années 1990. Le même esprit a guidé
les solutions relatives au droit souple 32
documents de portée générale de l'Administration 33
philosophie préside à la solution Danthony 34
puis à l'ensemble des
. Cette
s'agissant des
27 Il sera par commodité renvoyé aux inventaires régulièrement mis à jour sur
la question, spéc. A. Ciaudo, Droit du contentieux administratif, 2023, Sirey
Université, p. 329 à 334 ; JCl Adm., fasc. 107-30, Motivation de l'acte administratif,
mis à jour au 1er
juill. 2020, J.-Y. Vincent, G. Quillévéré et V. Tchen.
28 P. Idoux, « La motivation des actes administratifs », RLCT 2012, n° 89, p. 63.
29 H. de Gaudemar, « L'obligation de motivation des actes administratifs unilatéraux
en droit français », in S. Caudal (dir.), La motivation en droit public, 2013, Dalloz,
Thèmes et commentaires, p. 69.
30 À propos du règlement intérieur des établissements scolaires, CE, 2 nov. 1992,
Kherouaa : Lebon, p. 389.
31 CE, ass., 17 févr. 1995, nos 107766 et 97754, Marie et Hardouin : Lebon, p. 82
et 85, concl. P. Frydman, note O. Gohin ; RDP 1995, p. 1338, chron. L. Touvet ;
AJDA 1995, p. 379, note J.-H. Stahl ; GAJA.
32 CE, ass., 21 mars 2016, Sté Fairvesta International et Sté NC Numericable :
RFDA 2016, p. 497 et p. 506, concl. S. von Coester et P. Lombard ; RDP 2017,
p. 482, comm. H. Pauliat ; AJDA 2016, p. 717, chron. L. Dutheillet de Lamothe
et G. Odinet ; GAJA.
33 CE, sect., 12 juin 2020, n° 418142, Gisti : RFDA 2020, p. 785, concl.
G. Odinet ; AJDA 2020, p. 1407, chron. C. Malverti et C. Beaufils.
34 CE, ass., 23 déc. 2011, n° 335033, Danthony : RFDA 2012, p. 284, concl.
G. Dumortier ; AJDA 2012, p. 195, chron. X. Domino et A. Bretonneau ; GAJA.
latérale. Elle est une rhétorique descendante qui permet une
mise en scène de l'intérêt officialisé. Et tandis qu'on oppose
aux obligations de motivation leur lourdeur, leur caractère
contraignant pour l'Administration 36
, et que l'on dénonce
l'effet d'aubaine pour l'administré qui y puise des ressorts
contentieux, in fine la motivation ne sert que la décision ellemême
: quels que soient les intérêts invoqués, il apparaît que
celui qui est véritablement servi demeure l'intérêt propre de la
décision en cause et, par ricochet, l'autorité de l'organe signataire.
Enfin,
si la motivation n'est qu'une construction, elle doit aussi
faire œuvre de simplification. En effet, une décision administrative
n'est jamais parfaitement isolée ou individualisable : si
le droit s'y astreint par nécessité, il accepte ainsi une part de
fiction. La décision est le résultat d'un processus ; qu'il soit
linéaire, pluriel, incrémental ou anarchique selon les écoles,
il se révèle dans sa densité et sa complexité 37
. La décision ne
peut se suffire à elle-même car elle n'est pas un monde clos.
Aussi, en exposant les intérêts, le cadre juridique du raisonnement
et le résultat d'une qualification, la motivation qui ne
concerne qu'une décision individualisée atteint-elle peut-être
ses limites. Les réformes comme les pratiques administratives
l'ont d'ailleurs compris : à l'impératif de transparence a succédé
celui de participation directe des administrés au soutien
d'une légitimité toujours en refondation 38
.
Des données nouvelles entrent aujourd'hui en ligne de
compte. L'accroissement de l'administration numérique
et l'objectif d'une dématérialisation intégrale de la relation
administrative 39
, comme les potentialités déjà ouvertes par
35 P. Gonod, « Le contentieux de la motivation des actes administratifs unilatéraux »,
in S. Caudal (dir.), La motivation en droit public, 2013, Dalloz, Thèmes et commentaires,
p. 91.
36 S. Caudal, « Rapport introductif », in S. Caudal (dir.), La motivation en droit
public, 2013, Dalloz, Thèmes et commentaires, p. 3.
37 L. Sfez, Critique de la décision, 1973, Armand Colin ; B. Defoort, La décision
administrative, t. 286, 2015, LGDJ, Bibliothèque de droit public.
38 L. Blondiaux et B. Manin, Le tournant délibératif de la démocratie, 2021, Presses
de Science Po.
39 CE, rapp. public, 2023, L'usager du premier au dernier kilomètre de l'action
publique : un enjeu d'efficacité et une exigence démocratique, La Documentation
française.
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