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Colloque
le recours aux algorithmes 40
et demain à l'intelligence artificielle,
vont plus que jamais faire reposer l'acceptabilité de la
décision administrative désincarnée sur sa motivation immé40
J. Bousquet, T. Carrère et S. Hammoudi, L'action publique algorithmique. Risques
et perspectives, 2023, Mare et Martin ; sur les enjeux de ces évolutions, E. Barbin,
« Un prétendant au titre de critère de l'acte administratif : présentation du " finaliste "
», Dr. adm. 2023, n° 10, étude 2.
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Malaise autour de la notion d'intérêt pour expliquer
la décision administrative RDP200b8
Mathieu doat
Professeur à l'université de Perpignan Via Domitia (UPVD)
L'ESSENTIEL
Il est banal d'indiquer que la notion d'intérêt a orienté notre système juridique moderne. Fonctionnant sur un régime
binaire, l'intérêt permet juridiquement de faire « tout ou rien ». Un malaise insidieux s'est progressivement installé qui se
traduit par une crise du sens dans un monde administratif de plus en plus complexe. Les utilisations très nombreuses de
ce mot magique brouillent sa capacité à décrire le réel. La notion d'intérêt peine à raconter rationnellement le processus
de décision publique. Elle occulte sa part irrationnelle. C'est le régime de la vérité de la notion qui est en cause.
N
ul doute du caractère central de la notion d'intérêt
en droit. Cette notion « passe-partout » 1
se retrouve
à la fois comme pilier du droit subjectif et en même
temps au fondement de l'action juridique. Et il n'est pas surprenant
que, notamment dans les années 1970, au moment
où les juristes s'interrogent à nouveau sur les finalités de l'État,
de très belles pages du droit administratif soient consacrées à
cette notion, pour en dévoiler ses fonctions techniques 2
symboliques 3
et
.
Au moment d'écrire sur l'intérêt, de nombreuses voix me
précèdent donc et j'aurais aimé me contenter d'enchaîner,
de poursuivre une discussion, avec juste le risque de ne pas
dire grand-chose de plus, de remplir quelques interstices qui
n'auraient pas été vus. Je me serais laissé porter par les courants
doctrinaux, en respectant l'ordre des discours. J'éprouve
toutefois une inquiétude qui n'est pas simplement en lien avec
l'exercice périlleux d'écrire sur un tel sujet. Cet avertissement
de Freud vient à la mémoire : « On a bel et bien l'impression
que les êtres humains mesurent en général les choses à
des aunes qui sont fausses » 4
. Cette mise en garde du psychanalyste,
qui figure tout au début de son ouvrage intitulé
Malaise dans la civilisation, pourrait s'adresser directement aux
administrativistes qui ont longtemps cru pouvoir se reposer
1 G. Cornu, Vocabulaire juridique, 1987, PUF, p. 429-430.
2 Parmi une immense littérature, on ne peut citer ici que deux thèses, celle de Didier
Linotte, Recherches sur la notion d'intérêt général en droit administratif français, 1975,
et celle de Didier Truchet, Les fonctions de la notion d'intérêt général dans la jurisprudence
du Conseil d'État, 1977, LGDJ.
3 V. la thèse de Jacques Caillosse, L'intérêt général, la croissance et les avatars du droit
administratif, 1978, mais aussi l'article de Jacques Chevallier, « Réflexion sur l'idéologique
de l'intérêt général » in Variations autour de l'idéologie de l'intérêt général,
1978, PUF, p. 11-45.
4 S. Freud, Malaise dans la civilisation (1930), 2010, Seuil, Points-Essais, p. 43.
sur la notion d'intérêt pour se distinguer du droit privé et
légaliser l'action des collectivités locales en servant de base à
la clause générale de compétence, ou encore en ouvrant ou
non l'accès au juge administratif. Cette notion qui permettait
des oppositions tranchées était comme une évidence. Et sa
dimension idéologique ne semblait pas poser de problèmes
pour fonder une décision. L'utilité primait largement sur les
inconvénients. Son imprécision est même louée, car la variété
des significations, selon les contextes, favorise « la diversité
de ses fonctions » 5
. Ainsi, l'opposition entre l'intérêt général
et l'intérêt des particuliers, avait toutes les caractéristiques du
jardin à la française, où chaque élément est parfaitement à sa
place. Mais cet ordre du discours a fini par s'éroder au regard
de la réalité. Les oppositions binaires apparaissent de plus en
plus inopérantes. Elles vacillaient depuis quelques années, et
cet idéal fabriqué se dégrade inéluctablement du fait de la
multiplication des usages du mot intérêt.
Désormais, la décision administrative est sommée d'articuler
des intérêts, nationaux, locaux, financiers, environnementaux,
économiques et sociaux. Il s'agit de concilier l'intérêt général
avec l'intérêt d'une catégorie de personnes vulnérables, tout
en gardant en perspective l'objectif de réduire les rejets de
CO2, en essayant de défendre l'attractivité d'un territoire et
une bonne utilisation des deniers publics. Cette multiplication
des objectifs conduit sans aucun doute à l'émergence de
conflits d'intérêts qu'on avait longtemps crus enfouis dans
l'idée même d'un intérêt général absolu, universel, qui nous
relie. Nous pensions légitimer les décisions administratives de
5 V. F. Ost, Droit et intérêt, entre droit et non droit : l'intérêt, 1990, Éditions des
Facultés universitaires de Saint-Louis, p. 12.
diate. Comment convaincre autrement qu'un processus désincarné
sera susceptible de prendre en considération le moindre
intérêt humain dans sa décision ?
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