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Colloque
Ainsi pour être capable de rendre intelligible une décision
d'autorisation de reconduiteà la frontière, un permis de
construire, une autorisation d'inscription à l'université, il
faut être capable de visualiser un certain nombre d'images si
on veut les comprendre. Qu'est-ce que comprendre le droit
administratif, si ce n'est étudier ces représentations qui « nous
poussent dans le dos » 15
, qui nous font parfois horreur mais
qui sont pourtant essentielles. Il ne peut y avoir de langage
juridique propositionnel sans modèle.
Enfin, la notion d'intérêt n'est pas simplement un obstacle
pour penser les représentations qui accompagnent la décision.
Elle masque la part émotionnelle d'une décision publique.
Un choix administratif est aussi une histoire de sentiments,
de passions, de joies ou de colères. La décision engage notre
psychisme. C'est le désir d'un élu qui le conduit à transformer
sa ville. C'est parfois la paranoïa qui amène à rechercher la
sécurité. Il faudrait faire comme si les ressorts inconscients
disparaissaient dès lors que la décision est publique. La plupart
du temps, des biais sont repérables dès lors qu'on analyse
15 V. P. Ricoeur, Du texte à l'action, 1986, Seuil, p. 309.
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la décision d'une manière concrète. Le décideur public peut
s'entêter ou être versatile. Il va omettre des conditions juridiques.
Il va manipuler et aussi être manipulé. Il existe bien
des déviations dans les décisions prises au nom de l'intérêt
général. Décider, c'est désirer construire dans un ensemble
et cet instant de la décision ne peut se ramener à un intérêt.
Sans aller plus loin dans l'analyse, on entrevoit de nouvelles
pistes d'explication dès lors qu'on échappe au surcodage de
la notion d'intérêt. On peut rester dans le déni. Il reste que
je laisse ces auteurs dans leur boucle fermée qui décrit une
décision prise par des organes sans chair, sans odeur, sans cris
et sans rires, au nom d'un intérêt supérieur. Pour ma part,
j'assume de définir la décision comme une manifestation
émotionnelle du désir pour mieux comprendre son exécution.
Je ne cherche pas à sortir de l'explication rationnelle mais à
redonner à la décision son caractère représentatif et sa singularité.
C'est parce que j'ai fait l'expérience de la déraison dans
la décision publique que je dois analyser sa « part maudite » 16
.
16 V. l'essai de Georges Bataille, La part maudite, 1967, Les Éditions de Minuit.
Le choix de l'outil, dans quel(s) intérêt(s) RDP200b4
Une décision administrative
Martin moraLes
Maître de conférences à l'université Paris-Est Créteil (Paris 12)
Membre du MIL EA7382
L'ESSENTIEL
La diversification de l'action administrative et la satisfaction d'intérêts toujours plus nombreux conduisent légitimement
à s'intéresser au rôle de l'outil. Entendu au sens large comme englobant les instruments normatif, a-normatif, unilatéral,
contractuel, l'outil revêt des fonctions inattendues et parfois déconcertantes. L'on est tenté, de manière presque instinctive,
d'envisager l'outil par son objet. Pourtant, l'énoncé normatif (ou a-normatif) contenu dans l'outil n'est pas un indicateur
décisif pour éclairer le choix des décideurs et semble être la conséquence d'un brouillage des frontières entre les instruments,
voire d'une forme de dévoiement des concepts qui les sous-tendent. C'est surtout du côté des fonctions politiques
de l'instrument que le choix de l'outil peut être mis en corrélation avec les intérêts poursuivis par l'Administration.
C
onsacrée au niveau constitutionnel aux articles 1, 12
et 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du
citoyen et au niveau législatif à l'article L. 100-2 du
Code des relations entre le public et l'administration (CRPA),
la notion d'« intérêt général » s'envisage classiquement de
deux manières. Pensé comme pierre angulaire de l'action
publique, d'un côté, l'intérêt général revêt la figure d'un
mythe et apparaît abstrait, mouvant et insaisissable. D'un
autre côté, l'intérêt général se laisse mieux appréhender dans
l'action, si tant est qu'on l'approche par ses concrétisations
multiples. Il se dévoile alors comme un pavillon regroupant
des marchandises très diverses car confronté au pluralisme
social, l'intérêt général renvoie à une infinité d'intérêts. Il est
susceptible d'être mobilisé au profit d'une catégorie d'usagers
d'un service public, des habitants d'un secteur, des riverains
d'un projet, d'un groupe professionnel, voire d'une entreprise
privée. Ainsi déclinée dans des objectifs économiques,
sociaux, environnementaux, la conception initiale d'un intérêt
général unificateur qui transcende les particularités de la
société semble obsolète et laisse place à une « conception transactionnelle
de l'intérêt général » 1
. La formulation de l'utilité
publique d'une opération d'expropriation par la technique du
bilan en est l'illustration. Sur un plan plus politique, la doctrine
du « oui, mais » également.
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1 Conseil d'État, Rapport public 1999. Jurisprudence et avis de 1998. L'intérêt général,
1999, La Documentation française, p. 356.
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