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Colloque
part belle offerte à l'expression comme à l'examen des divers
intérêts en présence aurait déjà eu pour vocation de favoriser
le consentement à la décision administrative.
En dépit de l'ancrage de cette puissante culture administrative,
on peine à retrouver la trace de ces descriptions procédurales
fouillées et de ce souci concret des intérêts irriguant la décision
administrative lorsque la doctrine change de corps. Sous
la plume de la doctrine issue d'autres horizons que l'administration,
le terme « intérêt » perd dès le XIXe
siècle le bénéfice
de son pluriel, comme pour mieux signifier qu'il ne constitue
plus qu'une abstraction. Détaché des individus auxquels il se
rapportait avec Gérando, l'intérêt ne disparaît pas du champ
des écrits de droit administratif. Il conserve, bien au contraire,
une place conceptuelle fondamentale. L'étymologie même du
mot « intérêt » semblait le prédestiner à assumer cette fonction
ordonnatrice. Il renvoie originellement à ce qui se situe
entre deux choses, deux personnes (inter-esse) et partant ce qui
sépare. Et la doctrine le met très tôt au service de la séparation
du droit administratif et du droit civil. L'intérêt peine, en
effet, à s'immiscer en droit privé où l'on considère que s'il est
juridiquement protégé, il est alors un véritable droit, tandis
qu'il est réduit au néant du point de vue du juridique s'il ne
bénéficie pas d'une telle protection 3
. Adolphe Chauveau souligne
ainsi dès 1841 que l'intérêt ne constitue en matière civile
qu'un synonyme commode renvoyant au droit subjectif 4
.
À l'inverse, le droit administratif apparaît déjà comme celui
des états intermédiaires. Loin de tout statut de « refoulé 5
», il
revêt, selon les mots de Théophile Ducrocq en 1863, « une
immense importance pour la matière administrative 6
».
L'intérêt ne sert pas uniquement à caractériser le champ et
l'originalité du droit administratif. Il favorise également la
mise en ordre de cette discipline au sein de laquelle la décision
occupe une place cardinale. Il alimente ainsi les discours
et représentations de l'acte administratif unilatéral. Cette
fonction rhétorique et théorique supposait sans doute enrober
le terme même d'« intérêt » d'un halo d'imprécision. Le
lien quasi sensible et pratique entre intérêt et décision s'efface
au cours du XIXe
siècle au profit d'un lien intellectuel dont
l'ampleur demeure saisissante jusque dans les années 1920. Ce
n'est qu'à cette période que la fonction conceptuelle et légitimatrice
de l'intérêt s'affadit offrant à celui-ci de s'ancrer de
nouveau dans les réalités de l'action administrative. Non sans
défi, c'est ce long itinéraire, de l'incantation à l'incarnation de
l'intérêt, que l'on voudrait brièvement retracer ici.
I. Dialectique d'opposition
La distinction « intérêt de tous »/« intérêt personnel » 7
apparaît
comme la première manifestation de ces oppositions
binaires placées au cœur des grilles de lecture des administrativistes
8
. Les conclusions David sur l'arrêt Blanco suffisent
à attester qu'elle justifie tout, et au premier chef, l'existence
d'un droit et d'une juridiction spécifiques. En 1928, Maurice
Hauriou reconnaîtra ce qu'avait de caricatural un système
explicatif bâti à partir « d'une conception très stricte de l'intérêt
public et d'une distinction très tranchée entre ce qui est
public et ce qui est privé 9
». Cette vision manichéenne un
temps à l'œuvre fomente une dialectique d'opposition entre la
décision et l'intérêt. Appréhendée dans une perspective dynamique,
la décision apparaît menacée par les intérêts des agents
qu'il faut dès lors étouffer. À l'inverse, considérée du point de
vue statique, c'est alors la décision qui, immanquablement,
vient froisser les intérêts particuliers.
A. L'intérêt des administrateurs contre la
décision
Les intérêts privés qui, sous la plume de Gérando, méritaient
« d'extrêmes égards » au moment de l'élaboration d'une décision
administrative, sont ultérieurement ensevelis par un traitement
superficiel des règles procédurales. Léon Aucoc considère
ainsi en 1885 « qu'il n'y a que peu de choses à dire » ou au
contraire, « qu'il faudrait (...) entrer dans de nombreux détails
et toucher à des questions délicates 10
duction d'une ferme conviction à la fin du XIXe
». Il faut y voir là la trasiècle
: dans la
voie d'autorité en effet, la personne publique n'est jamais censée
agir que pour elle-même, « sans tenir compte d'autrui 11
».
Cette éclipse totale des intérêts des administrés laisse place à
une attention singulière portée aux intérêts des hommes qui
composent l'administration. Ces intérêts seuls donnent désormais
sens et forme à la théorie des procédures. Léon Marie,
Gaston Jèze ou encore Maurice Hauriou célèbrent ainsi de
concert les lourdeurs des formalités préalables qui introduisent
un contrôle mutuel et réciproque des agents neutralisant la
prédominance de tout intérêt privé 12
. Cette obsession pour
les conflits d'intérêts trouve d'ailleurs une résonance en droit
positif, comme l'atteste la loi du 5 avril 1884, prévoyant récusation
et suppléance dans toute affaire pour laquelle un élu
municipal apparaît personnellement intéressé. L'annihilation
7 E. David, concl. sur T. confl., 8 févr. 1873, Blanco : D. 1873.3.21.
8 D. Truchet, « La structure du droit administratif peut-elle demeurer binaire ?
À propos des catégories juridiques en droit administratif », in Etudes de l'Université
Paris II-Clés pour le Siècle, 2000, Paris, Dalloz, p. 443 et s.
3 V. P. Gérard, F. Ost, M. Van de Kerchove (dir.), « Introduction », in Droit et intérêt
- vol. 2 : Entre droit et non-droit : l'intérêt, 1990, Presses de l'Université SaintLouis,
p. 9 et s.
4 A. Chauveau, Principe de compétence et de juridiction administratives, 1841, Paris,
Cotillon, t. 1, p. 23-24.
5 V. P. Gérard et alii, « Introduction », in Droit et intérêt - vol. 2 : Entre droit et nondroit
: l'intérêt, 1990, Presses de l'Université Saint-Louis, p. 9 et s.
6 T. Ducrocq, Cours de droit administratif, 1863, Paris, A. Durand, p. 91. V. aussi la
thèse de J. Barthelemy, Essai d'une théorie des droits subjectifs des administrés dans
le droit administratif français, Thèse droit, 1899, Paris, Larose.
9 M. Hauriou, note ss CE, 25 nov. 1927, Société des établissements Arbel, in Notes
d'arrêts sur décisions du Conseil d'État et du Tribunal des conflits, 2000, Paris, La
Mémoire du Droit, Références, réimpr. de l'éd. de 1929, t. 3, p. 762.
10 L. Aucoc, Conférences sur l'administration et le droit administratif, 3e
Paris, Dunod, t. 1, p. 203, p. 303-304.
éd., 1885,
11 M. Hauriou et G. de Bézin, « La déclaration de volonté », RTDC 1903,
p. 553-557.
12 L. Marie, Le droit positif et la juridiction administrative, 1903, Paris, ChevalierMarescq,
p. 532 ; M. Hauriou, Principes de droit public, 1re
éd., 1910, Paris, Sirey,
p. 707 ; G. Jèze, « Essai d'une théorie générale de la compétence pour l'accomplissement
des actes juridiques en droit public français », RDP 1923, p. 68.
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