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Colloque
des intérêts des administrés comme des membres de l'administration
permet d'assurer que l'intérêt du service pèse exclusivement
dans l'élaboration de l'acte. Cette assertion devient,
sous l'impulsion de la jurisprudence relative au détournement
de pouvoir, un principe fondamental ou une loi générale non
écrite dominant toute l'activité administrative 13
. Fort de ce
monopole, l'intérêt public demeure étrangement une notion
négative dans la doctrine qui s'attache moins à caractériser ce
qu'il recouvre qu'à délimiter ce qu'il n'englobe pas : intérêt
pécuniaire, alors même qu'il s'agirait de celui d'une personne
publique, animosité personnelle, intérêt collectif autre que
celui qui a été confié à l'autorité, etc.
B. La décision contre les intérêts des
administrés
Considérée comme résultat, la décision administrative fait
resurgir les intérêts des administrés. Le Dictionnaire général
d'administration indique ainsi en 1846 que « les actes
de l'administration active, quelque éclairés que soient les
fonctionnaires qui les font et les conseils à la discussion desquels
ils ont pu être préalablement soumis, froissent inévitablement
les citoyens (...) Les administrés se plaignent ou
que l'acte administratif a froissé leurs intérêts (...) ou qu'il
a violé leurs droits ». La distinction entre les décisions à
l'encontre des droits subjectifs et celles à rebours des intérêts
privés, qui émaille toute la littérature du droit administratif
du XIXe
siècle, avertit de la conception contentieuse de l'acte
administratif déjà à l'œuvre. Elle traduit en effet l'idée que
les premières - les décisions contentieuses - sont susceptibles
d'un recours de pleine juridiction tandis que les secondes - les
actes de pure administration - ne se prêtent à la discussion
qu'à l'occasion d'un recours administratif ou pour excès de
pouvoir. À l'occasion d'une note en 1894, Hauriou révèle que
l'intérêt personnel qui justifie la recevabilité du recours pour
excès de pouvoir (REP) est ici aussi, et pour longtemps, conçu
comme exclusif de l'intérêt public. Hauriou explique que ce
recours est, tout au long du Second Empire, et jusqu'à la loi
municipale, dirigé contre des actes du pouvoir central qui avait
pour qualité de bien administrer les intérêts généraux et pour
défaut de glisser l'arbitraire dans les actes particuliers. Il y voit
l'origine de la règle suivant laquelle le REP n'est recevable que
si le requérant établit un intérêt personnel à l'annulation de
l'acte, « c'est-à-dire un intérêt autre que celui d'un administré
(...) qui désire une bonne gestion des intérêts communaux ou
départementaux » et distincts de l'intérêt de l'État. Invoquant
notamment l'autorité de Edouard Laferrière, il assure alors
que le REP est un « recours d'intérêt privé ». Se félicitant
des tentatives pourtant infructueuses menées par des contribuables
locaux, il espère une évolution de la jurisprudence
permettant d'opposer, à une décision de l'administration, plus
13 G. Jèze, note sous CE, 10 mai 1912, Abbé Bouteyre : RDP 1912, p. 454 ;
L. Michoud, « Étude sur le pouvoir discrétionnaire de l'administration », RGA
1915, p. 200.
que son intérêt propre 14
. En 1909, Félix Moreau se demande
encore si « les particuliers ne pourraient (...) pas intervenir
pour exiger une bonne administration 15
». Il évoque alors la
loi du 5 avril 1884 qui permet à tout contribuable d'attaquer
devant le préfet une délibération à laquelle un conseiller
municipal intéressé à l'affaire a pris part, ou d'intenter, avec
l'autorisation du Conseil de préfecture, toutes les actions que
les autorités communales négligent. Mais il reconnaît que la
possibilité pour un individu d'opposer à une décision un intérêt
autre que le sien manque d'effectivité. Eclipsé du temps
du processus décisionnel, l'intérêt privé forme, à l'inverse,
l'unique prisme au moyen duquel est examiné l'acte effectivement
adopté.
II. Dynamique d'interaction
En plus de transformer le droit administratif en droit téléologique,
l'intérêt, instrument ondoyant sans contenu fixe,
assume une fonction structurante pour la doctrine et plus
encore pour le Conseil d'État. Et il faut attendre que ses vertus
explicatives du contentieux de la décision se délitent pour
qu'affleurent, au cœur de l'acte administratif unilatéral, les
intérêts concrets.
A. L'intérêt ordonnateur du contentieux des
décisions
Farouchement opposés lorsque la doctrine envisage un acte
administratif en particulier, intérêt et décision s'unissent intimement
pour rendre compte de la diversité des actes. Dès
1892, Hauriou pressent avec beaucoup de justesse le « progrès
» scientifique provoqué par l'utilisation de la notion
d'intérêt et son « influence sur tout le droit administratif ».
L'observateur de la science du droit administratif à la fin du
XIXe
et au début du XXe
siècles est frappé par la clairvoyance
d'Hauriou : l'intérêt forme effectivement le principe des
classifications contentieuses des « diverses décisions administratives
16
». La disparition de l'opposition entre les actes
de pure administration ou discrétionnaires et les décisions
contentieuses à la suite de l'admission du REP contre les premiers
dans les années 1830, puis de l'arrêt Grazietti en 1902,
n'affadit pas l'efficacité technique de la notion d'intérêt. Elle
éclaire encore, jusqu'à la jurisprudence Lafage de 1912, la distinction
des actes d'autorité et des actes de gestion. Tandis
que les premiers sont élaborés, selon Adèle-Gabriel-Denis
Bouchené-Lefer, dans « l'intérêt de l'État ou de l'une de ses
dépendances », les seconds sont pris dans l'intérêt pécuniaire
d'une personne publique ou privée 17
. L'intérêt offre encore
au juge de l'excès de pouvoir de déterminer l'étendue de son
contrôle. Afin de réfréner l'expansion du REP à la fin du
14 M. Hauriou, note ss CE, 10 février et CE, 10 mars 1893, Bied-Charreton et
Poisson, in Notes d'arrêts, op. cit., t. 2, p. 207 et s.
15 F. Moreau, Manuel de droit administratif, 1909, Paris, Fontemoing, p. 121.
16 M. Hauriou, « De la formation du droit administratif français », RGA 1892,
t. 3, p. 30 et s.
17 A. Bouchene-Lefer, Principes et notions élémentaires du droit public-administratif,
1862, Paris, Cosse et Marchal, p. 603.
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