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Colloque
XIXe siècle, le Conseil d'État subordonne l'appréciation du
bien-fondé du moyen tiré de la violation de la loi à la condition
que le requérant établisse que la décision attaquée lèse un
droit acquis. Mais ici aussi, la frontière entre le droit acquis et
l'intérêt s'estompe à l'aube du XXe
vision manichéenne initiale 23
. Les espèces concrètes soumises
siècle. Après les arrêts Lot
et Molinier du 11 décembre 1903, l'exigence du droit acquis
cède place à la notion « d'intérêt renforcé » que l'arrêt Sieur
Alcindor ensevelit à son tour en 1906. À la suite des grandes
évolutions du REP à l'aube du XXe
siècle, l'intérêt perd sa
vocation structurante du contentieux. Les seuls édifices doctrinaux
qui persistent sont alors ceux qui n'ont pas pris pour
seul substrat la jurisprudence. On songe, par exemple, à la
bipartition entre les actes de personne publique et les actes
de personne privée, esquissée par Hauriou dès 1899 dans la
Gestion administrative, et qui place en son cœur « l'intérêt du
service public 18
». En réaction, cette œuvre classificatoire inspirera
à René Jacquelin une théorie de la hiérarchie des actes
de l'administration adossée de nouveau sur « l'importance de
l'intérêt collectif à satisfaire 19
».
B. Le contentieux de la décision révélant
les intérêts
Au cours du premier tiers du XXe
au Conseil d'État démentent toute logique d'opposition au
profit d'une démarche conciliatrice. Le juge découvre dans les
motifs et le but de la décision de retrait l'intérêt poursuivi par
l'administration - conservation du domaine public, protection
des deniers publics, sauvegarde de l'ordre public, intérêt
du service public, rétablissement de la légalité - autant qu'il
évalue l'intérêt privé en examinant l'acte administratif initial.
D'autres solutions, comme celles reconnaissant qu'une permission
de voirie n'est pas nécessairement attribuée dans l'intérêt
exclusif du particulier mais peut aussi servir les intérêts communaux
24
, accélèrent le délitement de l'idée que l'espace social
est composé de deux sphères distinctes et étanches : l'intérêt
en prise avec la décision administrative « est tout aussi bien
privé que collectif et que général, et cela non pas seulement
alternativement, mais parfois simultanément 25
». Enfin, l'étude
siècle, le contentieux de
l'excès de pouvoir devient le contentieux des intérêts qui vont
enfin se réincarner au fil des espèces. Avec la jurisprudence
relative au retrait des décisions, on découvre que « les situations
établies (...) profitent toujours à quelques individus et font
toujours quelques heureux » et qu'« il y a quelque injustice à
les leur retirer, car l'Homme est fait pour le bonheur. La situation
établie recèle donc en elle-même une force de résistance
aux changements, qui est l'intérêt du bénéficiaire 20
». La doctrine
s'empare même frontalement de la notion d'intérêt plutôt
que de laisser s'épanouir la notion archaïque et subjective
de droit acquis mobilisée par le Conseil d'État. Combattant le
vocabulaire mobilisé par ce dernier, Jèze regarde comme plus
exacte l'idée que les actes administratifs unilatéraux donnent
naissance à des intérêts particuliers légitimes qui ne peuvent
être supprimés 21
. Parce que cette jurisprudence révèle également
que des intérêts particuliers peuvent primer les valeurs
légitimatrices de l'action administrative, et notamment le
principe de légalité 22
, Jèze entreprend encore de systématiser
les intérêts en présence d'une décision irrégulière. Son étude
à la RDP de 1913, exaltant aussi bien l'intérêt général, celui
du patrimoine individuel ou administratif et ceux des tiers
subissant parfois « des contre-coups très graves » en raison de
l'annulation d'une décision, atteste d'un dépassement de la
18 M. Hauriou, La gestion administrative : étude théorique de droit administratif,
1899, Paris, Larose, p. 61.
19 R. Jacquelin, Une conception d'ensemble du droit administratif, 1899, Paris, Giard
et Brière, p. 24.
20 M. Hauriou, Principes de droit public, 2e
éd., 1916, Paris, Sirey, p. 23.
21 G. Jèze, Les principes généraux du droit administratif, 3e
en note.
éd., 1930, t. 2, p. 509,
22 L. Delbez, « La révocation des actes administratifs », RDP 1928, p. 498-499.
des notes d'Hauriou sur la recevabilité de REP suffit à attester
de la prolifération des intérêts bien réels face à une décision
de l'administration. Hauriou s'interroge ainsi sur les intérêts
corporatifs, lorsqu'il examine l'action en justice d'un syndicat
professionnel ou d'un fonctionnaire. Il jauge aussi l'intérêt
collectif des propriétaires « qui pourrait très bien être envisagé
comme un intérêt public » - « dessécher un marais, endiguer
une rivière, procéder au curage d'un ruisseau, n'est-ce point un
intérêt public d'hygiène ou de sécurité 26
». Il remet en question
la légitimité de l'intérêt des « filles galantes ». Il constate
encore que l'intérêt personnel n'est plus l'intérêt particulier dès
lors que l'intérêt peut se réaliser en la personne du requérant
« comme en ceux d'autres personnes 27
». Partout, fleurissent les
références à ces intérêts désormais concrétisés : intérêt électoral,
intérêt des habitants, intérêts de la santé, intérêt moral, intérêt
de l'usager du service public... Cette énumération plutôt
que cette systématisation confirme l'idée que le juge opère une
« appréciation très subjective 28
» de l'intérêt en cause. Il n'est
dès lors pas anodin que ce soit la jurisprudence sur l'intérêt à
contester une décision dans le cadre d'un REP qui ait fomenté
la querelle entre Chénot et Rivero au sujet des « faiseurs de
systèmes ». La jurisprudence place sous les yeux des auteurs des
intérêts qu'ils écartaient au nom de la cohérence théorique du
droit administratif. Celle-ci se délite à la fin du premier tiers du
XXe
siècle, au point de condamner « la théorie des intérêts », en
vertu de laquelle le droit public serait l'ensemble des règles juridiques
qui ont en vue l'intérêt général, le droit privé l'ensemble
de celles qui sont édictées dans l'intérêt individuel. Mais, c'est
à cette condition qu'il devient vraiment possible de penser les
liens entre décision et intérêts.
200c5
23 G. Jèze, « Essai d'une théorie générale sur la sanction des irrégularités qui
entachent les actes juridiques », RDP 1913, p. 294-330.
24 V. par ex. CE, 10 juill. 1896, Colette : Rec. 565.
25 P. Gérard et a., « Introduction », in Droit et intérêt - vol. 2 : Entre droit et nondroit
: l'intérêt, 1990, Presses de l'Université Saint-Louis, p. 9 et s.
26 M. Hauriou, note ss CE, 25 nov. 1927, Société des établissements Arbel, in Notes
d'arrêts, op. cit., t. 3, p. 763.
27 M. Hauriou, note ss CE, 24 juill. 1903, Commune de Massat - CE, 7 août 1903,
Chabot, in Notes d'arrêts, op. cit., t. 1, p. 388.
28 B. Chénot, concl. sur CE, 10 févr. 1950, Sieur Gicquel : Rec. 101.
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