Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger 1-2024 - 24

Dossier
1. Une œuvre coopérative
Au Conseil d'État, beaucoup relève du « travail d'équipe » 26
ciaires hors concours (au tour extérieur) 33
.
Le dialogue est au cœur de l'écriture, y compris quand le
temps manque - comme en cet automne 1958 particulièrement
chargé en textes. Il s'agit d'abord d'un dialogue au
sein du Conseil d'État lui-même, entre différentes formations
collégiales. Après le travail du rapporteur 27
, le projet est déli.
Ainsi,
République
béré en section (ou en commission spéciale) et - s'agissant
de textes législatifs - toujours en assemblée générale 28
au Conseil d'État, chaque projet législatif se trouve délibéré
au moins deux fois. La particularité de la plupart des ordonnances
de mise en place des institutions de la Ve
est d'avoir été délibérées initialement, non devant une section,
mais devant une commission spéciale « chargée de la
réforme constitutionnelle » 29
créée en 1958, composée de
15 membres représentant toutes les sections. C'est sur la base
du texte adoptée en commission que s'engage le débat en
assemblée générale. L'œuvre est donc particulièrement coopérative.
Elle l'est aussi à l'endroit du gouvernement. Le Conseil
d'État ne travaille pas en autarcie ; le dialogue avec les commissaires
du gouvernement (les représentants des ministères)
est particulièrement nourri. Ceux-ci occupent une place centrale
dans les débats en assemblée générale, ils s'y expriment
d'autant plus facilement - et sont d'autant mieux écoutés et
respectés 30
qu'ils sont eux-mêmes majoritairement issus du
Conseil d'État. La parole leur est souvent laissée longuement
pour défendre une option politique ou une interprétation
particulière du texte constitutionnel : une longue tirade de
Raymond Janot, par exemple, le 9 octobre 1958 pour inviter
l'assemblée générale à « ne pas réduire en charpie » 31
le
système des articles 34 et 37 de la Constitution ; une longue
tirade de Bernard Tricot le 16 octobre pour justifier un mode
de scrutin exorbitant pour l'élection des députés d'Algérie
à l'Assemblée nationale 32
; d'Yves Guéna le 27 novembre
pour défendre une voie de recrutement des magistrats judi26
H. Puget, « Tradition et progrès au sein du Conseil d'État », in Le Conseil d'État :
livre jubilaire publié pour commémorer son 150e
24 décembre 1949, 1952, Paris, Sirey, p. 115.
anniversaire : 4 nivôse an VIII,
27 Sur le rôle du rapporteur, v. M. Oudinot, « Le rôle du rapporteur devant les formations
administratives du Conseil d'État », in Le Conseil d'État : livre jubilaire
publié pour commémorer son 150e
1952, Paris, Sirey, p. 403-413.
anniversaire : 4 nivôse an VIII, 24 décembre 1949,
28 À l'exception des projets déclarés urgents qui relèvent de la seule commission
permanente.
29 Arrêté du vice-président du Conseil d'État du 15 octobre 1958 (Archives constitutionnelles...,
op. cit., vol. 1, p. 110).
30 L'assemblée générale fait parfois preuve de moins de patience avec les commissaires
du gouvernement non issus du Conseil d'État. Le 16 octobre 1958, s'agissant
d'une demande de modification présentée en cours de séance par la représentante
du ministère de l'Industrie : M. le président Cassin : « Madame, vous venez bien
tard. On a déjà voté après une longue discussion. Il me paraît difficile de revenir
maintenant sur un vote qui a été pris. », Procès-verbal d'assemblée générale,
séance du 16 octobre 1958, Projet d'ordonnance relative à l'utilisation du vote
par procuration ou par correspondance pour l'élection des députés à l'Assemblée
nationale, n° 275526 (Archives constitutionnelles..., op. cit., vol. 1, p. 211-212).
31 Procès-verbal d'assemblée générale, séance du 9 octobre 1958, Débats sur la nouvelle
répartition des domaines de la loi et du règlement (Archives constitutionnelles...,
op. cit., vol. 1, p. 56-57).
32 Procès-verbal d'assemblée générale, séance du 9 octobre 1958, Projet d'ordonnance
relative à l'élection des députés des départements d'Algérie à l'Assemblée
nationale, n° 275464 (Archives constitutionnelles..., op. cit., vol. 1, p. 134).
33 Procès-verbal d'assemblée générale, séance du 27 novembre 1958, Projet d'ordonnance
portant loi organique relative au statut de la magistrature, n° 275766
(Commission des archives constitutionnelles de la Ve
République, Archives constitutionnelles
de la Ve République, Volume 2, 1er
décembre 1958 - 7 janvier 1959,
2008, Paris, La Documentation française, p. 176-177).
34 Procès-verbal d'assemblée générale, séance du 28 novembre 1958, Projet d'ordonnance
portant loi organique relative aux lois de finances, n° 275879 (Archives
constitutionnelles..., op. cit., vol. 2, p. 591).
35 V., par ex., la séance du 23 octobre 1958 sur le projet d'ordonnance définissant les
contours du principe du vote personnel des parlementaires. Les commissaires du
gouvernement interviennent tour à tour, en escadrille, pour défendre l'équilibre
d'un système auquel le gouvernement tient fermement. (Archives constitutionnelles...,
op. cit., vol. 1, p. 411 et s.).
36 Procès-verbal d'assemblée générale, séance du 27 novembre 1958, Projet d'ordonnance
portant loi organique relative au statut de la magistrature, n° 275766
(Archives constitutionnelles..., op. cit., vol. 2, p. 182).
37 Ibid., p. 185.
38 Procès-verbal d'assemblée générale, séance du 29 octobre 1958, Projet d'ordonnance
organique relative à la représentation de la République au Sénat de la
Communauté, n° 275573 (Archives nationales, cote n° 19990026/27, dossier
n° 128, p. 9-10).
39 M. Hauriou, Précis de droit constitutionnel, 2e éd., 1929, Paris, Librairie du Recueil
Sirey, p. 470.
; ou encore de
Michel Aurillac le 28 novembre pour convaincre l'assemblée
générale du caractère réglementaire des taxes dites « parafiscales
» 34
. Sur certains projets à haute sensibilité constitutionnelle,
les interventions des commissaires du gouvernement se
montrent même particulièrement insistantes au cours d'une
même séance 35
. Loin d'être mal perçues, ces interventions
sont encouragées. Le président de séance cherche toujours
à connaître la position du gouvernement sur telle ou telle
modification proposée par le Conseil d'État : « Messieurs
les commissaires du gouvernement, je vous interroge. » 36
« Quel est le désir du gouvernement ? » 37
;
ment donne-t-il son adhésion à cet amendement ? » 38
; « Le gouverneLes
formules
de ce type ponctuent les séances d'assemblée générale.
La coopération avec le gouvernement - c'est la raison d'être
de sa mission de conseil - est donc au cœur des méthodes de
travail du Conseil d'État.
2. Une œuvre délibérative
Marquante est aussi la place de la délibération au sein des
formations consultatives du Conseil d'État. On y travaille
comme dans toute assemblée délibérante - presque comme
au Parlement - sous la seule (et importante) réserve du secret
des travaux. On y « discute » et on y « vote » des « résolutions
collectives », c'est le modus operandi de tout pouvoir délibérant
39
; le débat s'engage en assemblée générale sur le texte
adopté en commission (ou en section), les conseillers d'État
peuvent y déposer des « amendements » et « sous-amendements
» - ainsi qu'en témoigne, par exemple, l'épisode (malheureux)
de l'amendement du conseiller Pierre Després du
28 novembre 1958 : « Je dépose un amendement - qui n'a
pas beaucoup de chance de succès (...) », M. le rapporteur :
« C'est contraire à la Constitution ! Nous ne pouvons pas le
souhaiter. », M. Després : « C'est mon droit ! (...) Je désire
qu'il soit soumis au vote de l'assemblée ». M. le président : « Je
mets aux voix l'amendement de M. Després ; que ceux qui
sont pour veuillent bien lever la main... (6). Avis contraire...
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