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cation » n'est pas « promulgation » 89
...
, etc. - quitte à entrer
parfois dans les considérations les plus morbides : « condamnations
à la peine capitale » n'est pas « exécution de la peine
capitale » 90
Cet inventaire n'a rien d'anecdotique. Ni coquetterie, ni
purisme, ni conservatisme, on peut y déceler plutôt les prémices
d'une exigence de clarté, d'intelligibilité et d'accessibilité
de la loi. Ici encore, le Conseil d'État n'a pas attendu
la jurisprudence du Conseil constitutionnel ; ses formations
consultatives se préoccupent depuis fort longtemps de la
« qualité du droit » - et ce n'est pas un hasard qu'elles sont
les premières à produire des études d'ensemble sur le sujet
dans les années 1990, et plus tard un Guide de légistique.
Quel sens donner à ces exigences ? Pour l'assemblée générale
en 1958, il semble qu'il faille y voir d'abord un enjeu
démocratique. « Il n'y aura pas que des juristes pour lire ce
texte et le comprendre » 91
relève par exemple le conseiller
Philippe Renaudin. Et, s'agissant du sens à donner à une
formule implicite, René Cassin avertit : « Je crois que c'est
peut-être vrai pour nous, entre nous, mais vraiment pas pour
l'opinion publique. » 92
Il s'agit aussi et surtout d'un enjeu
d'efficacité, et derrière, de stabilité des situations juridiques.
L'assemblée générale fait preuve de conséquentialisme ; elle
est très attentive à faciliter la tâche des interprètes futurs, à
faciliter l'application des textes, à déjouer les contentieux
futurs. « Toutes les épithètes que nous ajouterons créent du
contentieux » 93
rappelle René Cassin à propos d'une disposition
détaillant les conditions de candidature à l'élection présidentielle.
L'assemblée générale fait la chasse aux formules
équivoques et aux catégories vagues. C'est notamment le
cas en matière électorale, en raison du contentieux massif
qu'elle est susceptible de générer. L'écriture de l'ordonnance
organique réglant le régime de la contestation des élections
législatives et sénatoriales en témoigne : « Permettez-moi de
vous dire que le Conseil constitutionnel aimera être lié par
des textes clairs » 94
répond René Cassin à Jean Foyer, commissaire
du gouvernement, qui proposait de s'en remettre à
la liberté d'appréciation du futur Conseil constitutionnel sur
le sens à donner d'un énoncé. De même, l'assemblée générale
du Conseil d'État refuse - malgré l'insistance du gouvernement
- d'ouvrir le vote par procuration ou par correspondance
aux élections législatives aux « agents commerciaux »,
89 Procès-verbal d'assemblée générale, séance du 28 novembre 1958, Projet d'ordonnance
portant loi organique relative aux lois de finances, n° 275879 (Archives
constitutionnelles..., op. cit., vol. 2, p. 599).
90 Procès-verbal d'assemblée générale, séance du 29 octobre 1958, Projet d'ordonnance
portant loi organique sur le Conseil supérieur de la magistrature,
n° 275575, Archives constitutionnelles..., op. cit., vol. 2, p. 241).
91 Procès-verbal d'assemblée générale, séance du 29 octobre 1958, Projet d'ordonnance
portant loi organique sur la Cour arbitrale de la Communauté, n° 275574
(Archives nationales, cote n° 19990026/27, dossier n° 129, p. 31).
92 Ibid., p. 27-28.
93 Procès-verbal d'assemblée générale, séance du 23 octobre 1958, Projet d'ordonnance
relative à l'élection du président de la République, n° 275536 (Archives
constitutionnelles..., op. cit., vol. 1, p. 367).
94 Procès-verbal d'assemblée générale, séance du 23 octobre 1958, Projet d'ordonnance
portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, n° 275531 (Archives
constitutionnelles..., op. cit., vol. 1, p. 489).
terme « bien vague », « très imprécis », à propos duquel on
« redoute qu'il y ait des difficultés » 95
, car « [i]l est difficile que
le Conseil d'État retienne une catégorie qui n'est définie par
aucune loi » 96
. Faciliter le travail des interprètes par l'emploi
de termes clairs paraît d'autant plus décisif à l'assemblée générale
que les ordonnances de l'article 92 seront dépourvues de
travaux préparatoires parlementaires. Ici la commodité intrinsèque
se met au service de la commodité extrinsèque du texte.
b. La commodité extrinsèque
Le texte est-il adapté aux faits qu'il entend régir ? Parvient-il à
l'effet souhaité ? Est-il seulement applicable ? Voire utile ? Ces
questions nourrissent l'activité d'écriture. Elles relèvent de la
légistique dite « matérielle » 97
au Conseil d'État - de « l'opportunité administrative » 98
ou - selon les mots employés
(le
terme est trompeur et réducteur car l'opportunité, dans la
fonction de conseil, ne se réduit pas à cette seule dimension
(v. partie 2)). C'est ici de commodité extrinsèque qu'il s'agit :
le texte est-il en phase avec ses fins extérieures ? Le Conseil
d'État ne définit pas lui-même ces fins ; il fait du texte un
moyen de les poursuivre au mieux. Cette opération le conduit
à faire preuve d'empirisme - il doit « par avance penser à
tout » 99
alors en « exercice de divination » 100
et les séances d'assemblée générale se transforment
parfois compliqué. Cette
activité, très ancrée dans les considérations pratiques, laisse
peu de place aux « faiseurs de systèmes ». Le conceptualisme
n'est pas au cœur des méthodes d'écriture des ordonnances
de l'article 92 de la Constitution. Évidemment, certaines
questions présupposent un effort d'abstraction et de systématisation,
parfois de haute volée théorique. À l'automne
1958, l'interprétation des articles 34 et 37 de la Constitution
donne par exemple à voir quelques belles « pages de doctrine
» devant l'assemblée générale du Conseil d'État : qu'estce
qu'un « principe fondamental » réservé à la loi 101
? quelle
est la vraie nature du règlement d'administration publique
(RAP) 102
?, etc. Mais le travail d'écriture de la loi, moins que
95 Procès-verbal d'assemblée générale, séance du 16 octobre 1958, Projet d'ordonnance
relative à l'utilisation du vote par procuration ou par correspondance pour
l'élection des députés à l'Assemblée nationale, n° 275526 (Archives constitutionnelles...,
op. cit., vol. 1, p. 208-209).
96 Ibid.
97 J. Chevallier, « L'apport et le statut de la légistique », in P. Albertini (dir.), La
qualité de la loi. Expériences française et européenne, 2015, Paris, Mare & Martin,
p. 31-51.
98 M. Long, « Le Conseil d'État et la fonction consultative : de la consultation à
la décision », RFDA 1992, p. 787-794 ; J.-M. Sauvé, « L'écriture de la loi et le
Conseil d'État », 12 juin 2014.
99 B. Latour, La fabrique du droit, 2002, Paris, La Découverte, p. 75.
100 Ibid.
101 R. Cassin : « La détermination de ce qui est un principe et de ce qui ne l'est pas,
et de ce qui est un principe fondamental et de ce qui ne l'est pas, amènera peutêtre
plus tard les auteurs à des conclusions générales. Mais en attendant, il y a la
jurisprudence... » Procès-verbal d'assemblée générale, séance du 13 novembre
1958, Projet d'ordonnance relative au prix des baux à ferme, n° 275725
(Archives nationales, cote n° 19990026/27, dossier n° 145, p. 23).
102 Ainsi que le résume le conseiller André Heilbronner le 16 octobre : « Toute la
difficulté réside dans le point de savoir si une disposition qui prévoit un RAP est
une disposition relative à la compétence ou une disposition relative à la procédure
» Procès-verbal d'assemblée générale, séance du 16 octobre 1958, Débats
relatifs aux conséquences de la Constitution sur les règlements d'administration
publique (Archives constitutionnelles..., op. cit., vol. 1, p. 115).
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