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200b3
Conseiller l'État
ger leur avis futur sur tel ou tel projet d'acte réglementaire 201
.
Elles le font au nom de la sauvegarde des libertés, des droits
des fonctionnaires, de la protection des finances publiques ou
- plus généralement - des nécessités administratives ; mais
au fond, il s'agit toujours d'une forme de persévérance dans
l'être. Cette autodéfense est particulièrement palpable, à l'automne
1958, à propos des conditions d'exercice du nouveau
pouvoir réglementaire autonome. L'article 37, alinéa 1er
, de
la Constitution élargit considérablement le domaine réglementaire
mais n'impose aucune condition de forme aux
règlements édictés sur son fondement. L'assemblée générale
du Conseil d'État s'inquiète très vite de la situation : René
Cassin y voit un « risque d'anarchie, de dispersion, de gaspillage
» 202
de l'action administrative. Les nécessités pratiques
sont mises en avant. Mais la vraie raison de cette inquiétude
semble être ailleurs - elle est révélée par le conseiller Henry
Puget le 27 novembre 1958 : « Il y a là une position très
grave à adopter, parce que si on laisse au pouvoir réglementaire
le soin de se prononcer sans imposer aucune condition
de forme, nous risquons que le pouvoir réglementaire agisse
toujours par décret simple et que l'on ne vote plus jamais un
texte en Conseil d'État » 203
. C'est donc la crainte d'un dessaisissement
de ses prérogatives qui explique en partie pourquoi
l'assemblée générale se prononce, en octobre 1958, pour la
survivance des RAP - et plus généralement pour la survivance
du critère formel et le maintien en vigueur de toutes
201 La commission spéciale et l'assemblée générale insèrent, dans l'ordonnance portant
loi organique sur le Conseil constitutionnel, une obligation de consulter le
Conseil d'État sur les décrets à intervenir en application de ladite ordonnance.
Procès-verbal d'assemblée générale, séance du 23 octobre 1958, Projet d'ordonnance
portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, n° 275531 (Archives
constitutionnelles..., op. cit., vol. 1, p. 501).
202 Procès-verbal d'assemblée générale, séance du 9 octobre 1958, Débats sur la
nouvelle répartition des domaines de la loi et du règlement (Archives constitutionnelles...,
op. cit., vol. 1, p. 58).
203 Procès-verbal d'assemblée générale, séance du 27 novembre 1958, Projet d'ordonnance
portant loi organique relative au statut de la magistrature, n° 275766
(Archives constitutionnelles..., op. cit., vol. 2, p. 178).
204 Procès-verbal d'assemblée générale, séance du 29 octobre 1958, Projet d'ordonnance
portant loi organique sur la Cour arbitrale de la Communauté, n° 275574
(Archives nationales, cote n° 19990026/27, dossier n° 129, p. B-27). Mêmes
propos, p. B-31 et p. B-32. Le président Bouffandeau qualifie même le Conseil
d'État de « juridiction souveraine ».
205 Même séance, p. B-33.
les lois antérieures à 1958 conditionnant, d'une manière ou
d'une autre, les formes d'exercice du pouvoir réglementaire.
La persévérance dans l'être se manifeste aussi de manière
spectaculaire à l'occasion de la délibération en assemblée
générale du projet d'ordonnance portant loi organique sur
la Cour arbitrale de la Communauté. Ici, le Conseil d'État
craint une concurrence juridictionnelle que résument parfaitement
les inquiétudes du président de la section du contentieux
Tony Bouffandeau - « j'aime mieux que, dans ces cas
spéciaux, le Conseil d'État soit privé de sa juridiction que de
voir la Cour arbitrale démentir les décisions que nous aurons
rendues » 204
- et le président Roger Latournerie - « la censure
sera infligée, non pas à un tribunal administratif, mais
au Conseil d'État. Je trouve cela extrêmement regrettable. Je
me consolerais peut-être de la censure de la Cour d'arbitrage
du Sénégal, mais je verrais avec moins de faveurs que cela
arrive au Conseil d'État » 205
. L'assemblée générale s'oppose
donc - au nom d'un certain souverainisme juridictionnel - à
l'épuisement des voies de recours internes préalablement à la
saisine de la Cour arbitrale de la Communauté. Ces différents
épisodes annoncent les positions contentieuses qui irrigueront
les décennies postérieures. Ils révèlent une fois encore
que l'activité des formations consultatives est pétrie d'arguments
politiques - pas si éloignés de ceux usités au contentieux
- qui positionnent le Conseil d'État entre fidélité au
pouvoir et indépendance d'esprit.
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