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dictionnels de l'action publique 23
. Ainsi, en 1996, la création
d'une direction des affaires juridiques est décidée par le
ministre de l'Éducation nationale à la suite de la décision du
Conseil constitutionnel censurant partiellement la loi relative
aux conditions d'aide aux investissements des établissements
privés par les collectivités territoriales 24
. La conformité juridique
de l'action ministérielle est progressivement perçue par
les ministres comme un risque politique les poussant à renforcer
leurs ressources juridiques internes.
En second lieu, les compétences juridiques des administrateurs
deviennent insuffisantes. Dans son étude de 1988, le Conseil
d'État observe qu'« au moment même où la référence à l'État
de droit occupe une place de choix dans le débat public et
exprime une exigence très vive des citoyens, les fonctionnaires
semblent maîtriser de moins en moins correctement l'élaboration
et l'application des normes juridiques » 25
. La part du
droit dans la formation des administrateurs décline. Bien
que les profils des agents soient multiples, les programmes
des concours administratifs et des enseignements dispensés
au sein des écoles administratives reflètent « la conversion de
l'administration aux critères économiques » 26
. L'École nationale
d'administration s'ouvre, par exemple, à l'économie et
aux sciences de gestion 27
juridiques, réduits à un cours de légistique 28
au détriment des enseignements
. En somme, le
processus de sélection et de formation des fonctionnaires ne
garantit pas que l'administrateur dispose d'une connaissance
suffisante des règles et des raisonnements juridiques.
Le renouvellement de la formation des administrateurs traduit
une transformation plus profonde du modèle administratif
français. En effet, « la détermination des conditions de
la formation des agents publics dépend de l'approche que
l'on retient de la mission de l'administration » 29
: la définition
du savoir administratif est l'expression d'une conception
située de la fonction administrative et du socle des compétences
jugées indispensables pour la réaliser. À cet égard, deux
grandes périodes peuvent être distinguées. Dans le modèle
administratif classique, tel qu'il se forme à partir du début du
XIXe
23 S. Lasvignes, « Sécurité juridique et qualité de la réglementation : quelques considérations
pratiques », Cahiers du Conseil constitutionnel, 2001, n° 11.
24 Cons. const., DC, 13 janv. 1994, n° 93-329, Loi relative aux conditions de l'aide
aux investissements des établissements d'enseignement privés par les collectivités
territoriales : Rec. Cons. const. p. 9.
25 CE, La formation juridique des fonctionnaires, 1988, étude non publiée, p. 2.
26 P. Legendre, Miroir d'une Nation. L'École nationale d'Administration, 1999, éd.
Mille et une nuits, p. 25.
27 A. Billon, « L'enseignement de la gestion à l'ENA de Paris », RFAP 1989, n° 51,
p. 429 ; S. Kolopp, « De la modernisation à la raison économique. La formation
en économie à l'ENA et les déplacements des lieux communs de l'action publique
(1945-1984) », Genèses 2013, n° 93, p. 53.
28 CE, La formation juridique des fonctionnaires, étude non publiée, 1988, p. 35 ;
E. Biland et R. Vanneuville, « Les mutations de la surveillance juridique des
administrations. Le Conseil d'État français et la promotion de la légistique », in
J. Crête (dir.), Les surveillants de l'État démocratique, 2014, Presses de l'Université
Laval, « Gouvernance et gestion publique », p. 109.
29 P. Gonod, « À propos de la formation des administrateurs (1804-1939) », CFP
2014, n° 348, p. 51.
30 P. Gonod, « À propos de la formation des administrateurs (1804-1939) », CFP
2014, op. cit.
l'École nationale d'administration ne soient créées, en 1871 et
en 1945, les administrateurs sont principalement formés par
les facultés de droit 31
. Les compétences des agents confortent
une organisation du travail ministériel dans laquelle l'activité
d'expertise juridique n'est pas distinguée de l'activité administrative
à proprement parler. Elle s'exerce de façon diffuse,
dans l'ensemble des bureaux. Dans cette configuration,
la mise en place de services juridiques paraît d'autant plus
superflue que les ministères disposent toujours de la possibilité
d'interroger des conseils juridiques extérieurs. La contestation
de ce modèle affecte à la fois le contenu de la formation
des agents et l'organisation de l'expertise juridique au sein des
structures administratives. À partir des années 1960, dans un
contexte économique et politique renouvelé, la place occupée
par le droit dans la construction de l'action administrative est
regardée comme un frein, paralysant les initiatives et limitant
l'efficacité des politiques publiques 32
. La formation des
administrateurs est renouvelée en conséquence, mais l'administrateur,
devenu un « manager » 33
, doit alors être épaulé par
un juriste.
La nécessité d'organiser les « affaires juridiques » des ministères
n'est donc pas seulement la conséquence du développement
des contraintes juridiques enserrant l'action publique,
elle est aussi le produit d'une évolution de plus long terme de
l'importance accordée au savoir juridique dans la réalisation
quotidienne de la fonction administrative.
B. La structuration de l'expertise juridique
ministérielle
Aucune directive gouvernementale n'a coordonné l'institution
des directions des affaires juridiques au sein des ministères,
aucune solution type n'a été promue. Au contraire,
chacune des études appelant à refondre l'expertise juridique
ministérielle a souligné que la transformation des structures
devait « obéir à une approche pragmatique, adaptée à la
situation particulière de chaque ministère » 34
. En la matière,
siècle, le savoir administratif est un savoir résolument
juridique 30. Avant que l'École libre des sciences politiques et
deux principaux modèles, qui ne sont pas exclusifs, ont été
envisagés : l'expertise juridique pouvait être renforcée dans
chaque direction ministérielle, au plus près des bureaux chargés
de l'élaboration des politiques publiques, ou elle pouvait
être concentrée au sein d'une cellule administrative distincte.
Au fil des réorganisations ministérielles, la seconde formule
s'est imposée : celle d'une direction d'administration centrale
spécialisée dans l'exercice d'une fonction d'expertise juri31
G. Richard, Enseigner le droit à Paris sous la Troisième République, 2013, Dalloz,
NBT, vol. 150, § 59 ; V. Azimi, « La place de l'Université dans la formation
administrative en France », Rev. adm. 2005, n° 348, p. 609.
32 J. Chevallier et D. Lochak, « Rationalité juridique et managériale dans l'administration
française », RFAP 1982, n° 24, p. 683 ; J. Caillosse, « L'administration
française doit-elle s'évader du droit administratif pour relever le défi de l'efficience
? », Politiques et management public 1989, p. 163.
33 J. Caillosse, « Les figures croisées du juriste et du manager dans la politique française
de réforme de l'État », RFAP 2003, n° 105, p. 121.
34 ENA, Le travail gouvernemental, rapports de séminaires établis par les élèves de la
promotion René Char, 1997, La Documentation française, p. 283.
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