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Conseiller l'État
doublement, voire triplement, révisés grâce aux interventions
successives des directions des affaires juridiques, du secrétariat
général du gouvernement et, le cas échéant, du Conseil
d'État, tandis que d'autres ne font l'objet d'aucune révision.
L'objectif de qualité du droit commanderait certainement que
les directions soient en mesure de réviser l'ensemble des textes
produits par les administrations centrales, ce qui inclurait les
arrêtés ministériels. Cependant, cette proposition ne semble
pas réaliste, les effectifs des directions ne leur permettant pas
d'assumer une telle charge de travail. Par ailleurs, le but de
la révision des textes est d'anticiper ou de corriger d'éventuelles
erreurs juridiques et légistiques. Or, les directions opérationnelles
rencontrent certainement moins de difficultés à
préparer des arrêtés ou des notes dont la densité juridique
est moindre et dont la préparation relève de leur travail habituel.
L'organisation d'une révision systématique de ces actes
pourrait paradoxalement conduire les services à être moins
vigilants à la qualité des textes qu'ils conçoivent.
Le circuit d'élaboration des textes peut toujours être repensé,
au cas par cas, afin de réintégrer les directions des affaires
juridiques. Les périodes de crise et d'urgence en offrent
un bon exemple. La direction des libertés publiques et des
affaires juridiques du ministère de l'Intérieur 54
des affaires juridiques des ministères sociaux 55
et la direction
se sont chacune
imposées comme les maîtres d'œuvre de la production
normative des états d'urgence antiterroriste et sanitaire. Ces
périodes de crise ont conduit à l'émergence, temporaire, d'un
processus alternatif d'élaboration du droit lors duquel l'organe
d'expertise juridique occupe une place clé. Anticipant
logiquement que les décisions prises dans ces contextes sensibles
connaîtraient un fort « taux de conflictualité » 56
, les
autorités politiques semblent avoir fait preuve d'une attention
accrue à la contrainte juridique en adaptant les méthodes de
travail ministérielles. L'implication des directions des affaires
juridiques durant ces deux périodes montre qu'en temps de
crise, lorsqu'il s'agit de repenser, dans l'urgence, le cadre de
l'action administrative en tentant de le concilier avec l'exercice
des libertés publiques, la technique juridique reprend son
rôle matriciel pour l'État.
Par leur activité de conseil, les directions des affaires juridiques
s'imposent comme de véritables ressources au service
de la construction de l'action ministérielle. Leur expertise
compose cependant avec celle des conseils juridiques extérieurs
aux ministères.
54 « État d'urgence : Thomas Andrieu, DLPAJ, détaille le cadre juridique à AEF »,
dépêche n° 511563, 30 nov. 2015 ; AN, rapp. n° 3784, fait en application de
l'article 145-5 du règlement au nom de la commission des lois constitutionnelles,
de la législation et de l'administration générale de la République, sur le contrôle
parlementaire de l'état d'urgence, 25 mai 2016, audition de T. Andrieu, directeur
des libertés publiques et des affaires juridiques, p. 142.
55 « " La crise sanitaire a révélé l'intérêt d'une plus forte centralisation de la fonction
juridique " , 3 questions à Charles Touboul, directeur des affaires juridiques des
ministères sociaux (DAJMS) », JCP G 2021, p. 606.
56 AN, rapp. n° 3784, fait en application de l'article 145-5 du règlement au nom
de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration
générale de la République, sur le contrôle parlementaire de l'état d'urgence,
25 mai 2016, audition de T. Andrieu, directeur des libertés publiques et des
affaires juridiques, p. 140.
B. La place des directions parmi les conseils
juridiques de l'État
L'administration a toujours disposé de la faculté de solliciter
des conseils juridiques extérieurs et la création des directions
des affaires juridiques n'a eu ni pour but ni pour conséquence
de priver les services ministériels du bénéfice de ces expertises.
Parmi celles-ci, les ministères consultent le Conseil d'État ou
font appel à des avocats.
Sans créer une véritable concurrence à l'activité consultative
du Conseil d'État, les directions des affaires juridiques participent
à renouveler les canaux par lesquels l'institution et ses
membres assistent les ministères. Les demandes d'avis adressées
par les ministres au Conseil d'État sur le fondement de
l'article L. 112-2 du Code de justice administrative 57
se sont
raréfiées : en moyenne une quinzaine d'avis sont désormais
rendus chaque année, contre une quarantaine dans les années
1990 58
. La structuration de l'expertise juridique ministérielle
explique cette diminution puisque les directions des affaires
juridiques prennent en charge l'essentiel des questions autrefois
posées au Conseil d'État. À cela s'ajoute la supervision
croissante des services du Premier ministre sur les demandes
d'avis. En effet, les questions que les ministères souhaiteraient
adresser au Conseil d'État sont systématiquement examinées
par le secrétariat général du gouvernement qui valide tant
le principe de leur transmission que la rédaction finale de
la demande 59
. Devenue gouvernementale, la procédure de
transmission des demandes limite le nombre des questions
adressées chaque année au Conseil d'État. D'une part, l'intervention
des services du Premier ministre est susceptible de
freiner les initiatives ministérielles. D'autre part, le gouvernement
tend à sélectionner stratégiquement les demandes d'avis
qu'il transmet 60
. L'évolution de la pratique des demandes
d'avis au Conseil d'État montre plus profondément combien
l'expertise juridique ministérielle s'exerce aussi à un niveau
gouvernemental, par l'entremise du secrétariat général du
gouvernement.
57 L'article L. 112-2 du Code de justice administrative permet aux ministres de
consulter le Conseil d'État « sur les difficultés qui s'élèvent en matière administrative
». Le Conseil d'État réalise alors une consultation juridique, présentée sous
la forme d'un avis.
58 Le nombre d'avis sur questions est systématiquement indiqué dans les rapports
annuels d'activité du Conseil d'État. Toutefois, ce nombre correspond au total
des avis donnés sur questions, en confondant les questions posées par le gouvernement
et celles adressées par des collectivités d'Outre-mer. En 2022, le Conseil
d'État a rendu 12 avis sur questions, contre 13 en 2021, 8 en 2020 et 15 en 2019.
59 Secrétariat général du gouvernement, Guide de légistique, 3e éd., 2017, La documentation
française, p. 133.
60 Le recensement des avis rendus publics par le gouvernement entre 2013 et 2023
montre que le Conseil d'État peut être consulté sur des questions totalement
inédites, telles que la réglementation des nouvelles technologies (par ex., CE, avis,
20 oct. 2020, n° 401214, avis relatif à l'usage de dispositifs aéroportés de captation
d'images par les autorités publiques) ; sur des questions politiquement sensibles,
telles que l'abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes (CE, ass., avis, 26 avr.
2018, n° 394398, avis relatif à diverses questions de droit des concessions dans le
contexte résultant de l'annonce, le 17 janvier 2018, par le Premier ministre de la
décision du gouvernement de renoncer au projet d'aéroport de Notre-Dame-desLandes
et de procéder à un réaménagement de l'aéroport de Nantes-Atlantique)
ou encore sur des questions à fort enjeu pratique et financier, telles que le régime
des contrats administratifs (CE, avis, 15 sept. 2022, n° 405540, avis relatif aux
possibilités de modification du prix ou des tarifs des contrats de la commande
publique et aux conditions d'application de la théorie de l'imprévision).
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