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Dossier
supprimé par le régime du maréchal Pétain, Conseil économique
(CE) de 1946 à 1958 avec sa « constitutionnalisation »
par la IVe
République, Conseil économique et social (CES)
de 1958 à 2008 - qui a survécu au référendum de révision
constitutionnelle de mai 1969 -, CESE depuis lors - enfin,
le projet de loi constitutionnel d'août 2019 n'a pas abouti et
proposait de transformer l'institution en « Conseil de la participation
citoyenne » 2
ou, dans d'autres textes préparatoires,
en « chambre de la société civile ».
Il ne peut s'agir ici de faire l'analyse et le récit détaillé de
près d'un siècle d'histoire et on cherche surtout, à partir de
quelques exemples pris dans différentes configurations, à
montrer comment la fonction consultative d'un tel Conseil
a changé dans le temps en tenant compte de l'évolution du
paysage des institutions de la République plus généralement
et de la place respective accordée aux acteurs syndicaux, associatifs
et politiques.
II. Une fonction consultative originale
pour assurer la survie de l'institution
La création du CNE s'est faite au milieu d'une bataille politique
entourant les élections législatives de 1924 3
. Des projets
anciens existaient mais c'est la Première Guerre mondiale
avec la réorganisation de l'État et une nouvelle place accordée
aux syndicats qui amorcent le changement. L'économiste
Charles Rist, participant à un ouvrage de savants engagés à
gauche dans le débat des élections législatives, explique ainsi
les raisons pour créer un tel Conseil : « Pour imposer à ces
politiques indépendantes une certaine unité de vues, la guerre
a fait surgir l'idée d'une sorte de grand Conseil National
Économique. La politique républicaine devrait reprendre
cette idée et la faire passer dans les faits. Un Conseil de ce
genre peut se bâtir sur bien des plans divers. (...) Utopie ?
Peut-être. Mais utopie qui répondrait à l'ampleur et à la complexité
d'une vie économique renouvelée chaque jour par les
découvertes scientifiques. Sous une forme ou sous une autre,
il faut à tant d'activités qui s'ignorent et s'opposent une institution,
où leur solidarité profonde puisse s'éprouver et s'exprimer
clairement. Cette institution nous la verrons s'ébaucher
un jour » 4
. Les oppositions politiques conduisent toutefois à
une création modeste par un simple décret, le vote de la loi
régissant l'institution étant exigée par un article d'une loi de
finances mais tardant à se réaliser : un projet de loi en 1927,
des propositions de loi très nombreuses, un nouveau projet
de loi en 1933, des rapports dans le cadre de la commission
de la réforme de l'État en 1934 et finalement un vote de la loi
2 Projet de loi constitutionnelle n° 2203, pour un renouveau de la vie démocratique,
enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 29 août 2019. C'est
finalement la loi organique du 15 janvier 2021 qui transforme assez largement
l'institution mais sans en changer le nom.
3 A. Chatriot, La démocratie sociale à la française. L'expérience du Conseil national
économique 1924-1940, 2002, La Découverte.
4 C. Rist, « La politique économique », in La politique républicaine, 1924, Librairie
Félix Alcan, p. 271 à 300, p. 274 à 275 pour la citation.
seulement en mars 1936, juste avant le renouvellement de la
Chambre des députés.
Dans cette situation incertaine, construire la pérennité de
l'institution passe par le fait de lui trouver une légitimité dans
la qualité de sa production. C'est ce dont est persuadé, dès
la fin des années 1920, son secrétaire général, le membre du
Conseil d'État Georges Cahen-Salvador 5
. Le choix qui est fait
alors est certes de répondre aux rares sollicitations directes du
pouvoir exécutif - la présidence du Conseil demande ainsi au
CNE quelques avis sur le programme de travaux susceptibles
de parer éventuellement à la crise de chômage en 1927, sur la
révision du programme de construction des lignes nouvelles
de chemin de fer en 1930, sur le questionnaire relatif à une
action économique concertée transmis au gouvernement
français par la Société des Nations en 1930, sur les mesures
susceptibles de parer éventuellement à la crise de chômage
en 1931 ou sur l'organisation de la documentation économique
et statistique en 1932 6
. Mais, surtout, à l'initiative du
secrétaire général, le CNE se lance dans un travail sur l'outillage
national et sur la rationalisation qui aboutissent dans une
large « enquête sur la situation des principales branches de
l'économie nationale » et accumule en quelques années un
matériau totalement inédit qui se fait l'écho des transformations
de l'ensemble de l'économie française depuis le premier
conflit mondial.
Pour réaliser ses rapports, les membres du CNE représentant
les syndicats ouvriers et patronaux, agricoles et d'ingénieurs
sont mobilisés mais aussi de jeunes hauts fonctionnaires qui
préparent souvent les versions des textes ensuite débattus 7
.
Le point à noter ici est double : d'une part, ce travail donne
une première légitimité aux rapports ainsi produits (et faits
aussi connaître l'institution dans les différents grands corps
de l'État), d'autre part, sur cette première base, s'engagent
des négociations parfois serrées pour aboutir à des avis qui ne
sont pas théoriques ou abstraits mais qui tiennent compte des
intérêts représentés au CNE 8
. Si le choix des thèmes traités
laisse de côté certaines questions politiquement délicates (en
particulier tout ce qui a trait à la monnaie et à la fiscalité),
le CNE s'affirmant progressivement se saisit d'un objet disputé
: la question des conventions collectives. C'est au jeune
membre du Conseil d'État Pierre Laroque que la mission
d'établir un rapport est confiée, celle-ci aboutissant à la fin
5 A. Chatriot, « Georges Cahen-Salvador, un réformateur social dans la haute administration
française (1875-1963) », Revue d'histoire de la protection sociale 2014,
n° 7, 2014, p. 103 à 128. Il se fait ainsi le porteur d'une doctrine qu'il explicite
dans un article : G. Cahen-Salvador, « L'économie disciplinée, ses méthodes et son
programme », RPP, 10 mars 1934, p. 422 à 452.
6 Ces avis sont publiés au Journal officiel, et après quelques années dans des séries à
l'Imprimerie nationale puis à l'Imprimerie administrative.
7 A. Chatriot, « Les hauts fonctionnaires du Conseil d'État au Conseil national économique,
la construction d'une institution d'État », in M.-O. Baruch et V. Duclert
(dir.), Serviteurs de l'État, une histoire politique de l'administration française 18751945,
2000, La Découverte, p. 387 à 399.
8 A. Chatriot, « Legitimacy through Negociated Expertise. The Construction of the
National Economic Council in France during the interwar years », in C. Rabier
(dir.), Fields of Expertise : a Comparative History of Expert Procedures in Paris and
London, 1600 to present, 2007, Cambridge Scholars Publishing, p. 209 à 226.
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