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Conseiller l'État
de l'année 1934 9
. Ce rapport et l'avis qui l'accompagne sont
déterminants dans l'élaboration de la loi sur le sujet votée le
24 juin 1936 à l'initiative du gouvernement du Front populaire.
L'influence
du travail du CNE sur l'élaboration législative est
donc souvent indirecte mais elle existe malgré tout durant
les années 1930 car l'institution apporte une valeur ajoutée
certaine aux documents qu'elle produit. Le secrétaire général
adjoint, lui aussi membre du Conseil d'État, Alexandre
Parodi, le constate rétrospectivement : « C'est lui [Georges
Cahen-Salvador] qui a réussi, à force d'y croire, à réaliser cette
première expérience d'une étude systématique de l'économie
française, production par production, en confrontant les différents
producteurs, les producteurs et les consommateurs, les
patrons, les ouvriers et l'administration » 10
. Il souligne aussi
ses doutes d'alors : « Je dois avouer que lorsque nous accumulions
alors les rapports, certes sérieusement étudiés et qui
étaient le fruit de nombreuses et longues séances mais que
ne suivait jamais aucune réalisation pratique, il m'est arrivé
souvent de me sentir sceptique sur le travail auquel j'étais
associé. J'avais tort, c'est Georges Cahen-Salvador, qui dans
sa confiance et sa foi en l'institution qu'il dirigeait, avait raison
» ; et il conclut : « L'administration, jusque-là si indifférente,
constata que les seuls renseignements dont elle disposait
étaient les rapports du Conseil National Économique ».
Le CNE parvient donc à trouver sa place dans les institutions
républicaines. Elle est plus officielle que celle du Musée social,
même si ce dernier a souvent été analysé comme une « antichambre
» de la Chambre des députés pour quelques lois
sociales 11
d'orienter si possible les conclusions qu'il adopte dans un sens
favorable aux idées que nous défendons » 13
.
Le CNE ne doit cependant pas être vu comme une initiative
isolée. Il existait déjà depuis la fin du XIXe
siècle le Conseil
supérieur du travail mais son fonctionnement était plus limité
avec des sessions annuelles préparées par l'Office du travail 14
.
Le développement des institutions consultatives dépendant
des différents ministères s'accélère durant les années 20 et 30.
Dans son étude sur La Représentation des intérêts et les services
publics, Jean Cahen-Salvador définit son projet en soulignant
la nouveauté de ces institutions : « L'objet de cette étude est
d'indiquer comment, dans notre pays, ont été créés et fonctionnent
des organismes qui, permettant d'associer à l'activité
des pouvoirs publics certaines catégories d'administrés, sont
venus modifier la physionomie traditionnelle de notre administration
» 15
. Un autre jeune auditeur au Conseil d'État peut
même en 1934 dénoncer le « règne des Conseils », véritable
« polysynodie dans l'administration française » 16
.
La légitimité lentement acquise par le CNE et son nouveau
statut législatif obtenu en 1936 fait de lui un acteur au rôle
nouveau avec les lois sociales du Front populaire. Loin d'être
exclu du processus, le Conseil tient un rôle central en partenariat
avec le ministère du Travail pour l'application des lois :
on assiste même à un moment où le Conseil, tout en restant
consultatif, participe activement à l'élaboration du droit
social qui connaît de grandes transformations en quelques
années. Sa place parmi les différentes instances consultatives
de l'époque est alors assez originale 17
. Cette association au
. L'autorité construite progressivement en matière
économique et sociale n'avait rien d'évident et d'autres
corps intermédiaires critiquent cette nouvelle concurrence,
en particulier les chambres de commerce et d'industrie, au
statut réaffirmé depuis la loi du 9 avril 1898 12
. Les représentants
patronaux sont en effet attentifs à partir du début
des années 30 à la nouvelle audience prise par le Conseil et
Alexandre de Lavergne explique ainsi à l'assemblée générale
de la confédération générale de la production française en
mars 1931 : « On ne saurait méconnaître l'autorité croissante
de ce Conseil dans les milieux gouvernementaux et parlementaires.
Il importe que les membres de nos groupements
qui, avec votre délégué général, y représentent les entreprises
industrielles et commerciales suivent avec attention et assiduité
les travaux du Conseil National Économique, afin
travail du gouvernement de Léon Blum explique aussi sa dissolution
par le gouvernement du maréchal Pétain, préoccupé
de plus d'appliquer un strict modèle corporatiste inspiré à la
fois de l'Ancien Régime et de certaines expériences étrangères
(en particulier la dictature de Salazar au Portugal).
III. Entre consultation quasi
systématique et blocages :
un moment paradoxal sous la
IVe
République
La période de la IVe
République n'est pas la plus étudiée
pour les expériences de conseils économiques malgré les
13 Confédération générale du patronat français, Compte rendu de l'assemblée générale
de la CGPF du 27 mars 1931, Bibliothèque de la FNSP, p. 12.
14 A. Chatriot, « Le Conseil supérieur du travail », in J.-C. Daumas, A. Chatriot,
D. Fraboulet, P. Fridenson et H. Joly (dir.), in Dictionnaire historique du patronat,
2010, Flammarion, p. 1149 à 1153 ; I. Lespinet-Moret, L'Office du travail 18911914,
2007, Presses universitaires de Rennes.
9 P. Laroque, « Les conventions collectives de travail », JO, 3 janv. 1935 ; Imprimerie
nationale, rapp., 1934, Enquête sur la situation des principales branches de l'économie
nationale. V., pour une mise en contexte dans sa trajectoire personnelle,
E. Jabbari, Pierre Laroque and the Welfare State in Postwar France, 2012, Oxford
University Press, p. 30 à 54.
10 A. Parodi, in Georges Cahen-Salvador 1875-1963, s.d., s.l., p. 5.
11 J. Horne, Le Musée social, aux origines de l'État providence, 2004, Belin.
12 A. Chatriot, « La chambre face à une institution nouvelle : le Conseil national économique
(1925-1940) », in La chambre de commerce et d'industrie de Paris 18032003,
t. II, Études thématiques, 2008, Droz, p. 75 à 98.
15 J. Cahen-Salvador, La représentation des intérêts et les services publics, 1935, Librairie
du Recueil Sirey, p. 1. Jean Cahen-Salvador, fils de Georges Cahen-Salvador, est
aussi un membre du Conseil d'État. Après la Seconde Guerre mondiale, il est
le premier secrétaire général du Conseil économique sous la IVe
République.
V. également G. Dauphin, L'administration consultative centrale (avec tableau des
assemblées consultatives fonctionnant auprès des divers ministères), 1932, Librairie
Marcel Rivière.
16 M. Lachaze, « Le règne des conseils ou la polysynodie dans l'administration française
», RPP, 10 sept. 1934, p. 483 à 494.
17 A. Chatriot, « Les instances consultatives de la politique économique et sociale »,
in G. Morin et G. Richard (dir.), Les deux France du Front populaire, 2008,
L'Harmattan, p. 255 à 266.
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