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Dossier
Constitution 36
et fait l'objet de nombreuses critiques et
remises en cause. L'institution est d'abord réorganisée dans
sa composition non sans une part d'influence politique 37
.
Elle intéresse certes le pouvoir gaulliste dans le cadre de la
mobilisation des « forces vives » de la nation 38
, mais l'incertitude
est forte comme le montre entre autres le référendum
de 1969. Sur le plan du rôle consultatif de l'institution, le
Conseil connaît des situations contrastées en un peu plus de
60 ans. Sur certains sujets, il réussit à tenir un rôle de vigie,
sur d'autres, il n'échappe pas toujours à l'instrumentalisation
par certains acteurs politiques ou syndicaux.
Certains sujets font régulièrement l'objet de rapports devant
le Conseil accompagnant l'évolution des pratiques et des
mesures législatives et réglementaires. Le premier exemple
qui peut être cité concerne le crédit à la consommation. Dès
le début du changement d'échelle de cette pratique en France,
le Conseil s'y intéresse en 1954, 1956, 1961 puis 1974, 1983
et 2000. Les débats sur le sujet sont parfois vifs au Conseil car
il existe des interprétations divergentes sur la place du crédit
dans la croissance économique. Progressivement, c'est sur la
question du surendettement que le Conseil est amené à se
prononcer 39
. Une autre
rer » une question ! C'est ainsi le cas après la publication
du rapport Sudreau en 1975 sur la réforme de l'entreprise 42
.
Pourtant modéré dans ses préconisations, ce rapport préparé
par une commission présidée par l'homme politique Pierre
Sudreau inquiète le patronat. Or, à la mi-mars 1975, le
Premier ministre saisit le CES pour un avis sur le rapport
du comité Sudreau (saisine alors souvent interprétée comme
une manœuvre quelque peu dilatoire, d'autant que les comités
économiques et sociaux régionaux sont également saisis).
Le 16 avril, une commission temporaire se réunit au CES
avec pour mission de transmettre une réponse au Premier
ministre avant le 1er
juillet de la même année. Elle élit comme
président Antoine Antoni, représentant des coopératives
ouvrières de production, présent au Conseil depuis 1947 et
disposant de ce fait de l'expérience des débats de 1948-1950.
Lors de la séance du 23 avril, le président précise qu'« il ne
s'agit pas de faire un contre-rapport mais un document précisant
la position des différents groupes de représentation au
Conseil » 43
. Pierre Delmon, patron des houillères du bassin
. Sur un sujet longtemps peu abordé par les politiques
publiques, celui de la grande pauvreté, le Conseil produit
en autosaisie trois rapports qui font date dont les deux
derniers sont pilotés par les dirigeants successifs du mouvement
ATD Quart Monde qui siègent au Conseil 40
thématique, plus inattendue peut-être, fait l'objet d'un suivi
de longue durée par l'institution : les politiques scientifiques.
De très nombreux rapports s'enchaînent ainsi depuis 1953
sur un rythme soutenu 41
. Sur ce sujet qui intéresse aussi le
commissariat au Plan et bon nombre d'associations, l'élément
original des rapports du Conseil est la prise en compte de
l'avis des syndicats de personnels des grands organismes de
recherche.
Dans une autre perspective, un cas spécifique peut être analysé
quand le gouvernement saisit le CES pour mieux « enter36
Pour une présentation juridique de l'institution dans la première partie de la
Ve
République, v. F. Gaillard, Le Conseil économique et social, thèse de doctorat de
droit, Université Paris XIII, 1975 ; J. Frayssinet, Le Conseil économique et social,
1986, La Documentation française.
37 A. Chatriot, « Du Conseil économique au Conseil économique et social. Les
variations politiques de la composition de l'assemblée de la démocratie sociale »,
in G. Richard et J. Sainclivier (dir.), Les partis et la République. La recomposition du
système partisan 1956-1967, 2007, Presses universitaires de Rennes, p. 283 à 293.
38 A. Chatriot, « À la recherche des " forces vives " », in S. Berstein, P. Birnbaum et
J.-P. Rioux (dir.), De Gaulle et les élites, 2008, La Découverte, p. 219 à 237.
39 A. Chatriot, « Protéger le consommateur contre lui-même. La régulation du crédit
à la consommation », Vingtième siècle revue d'histoire, juill.-sept. 2006, n° 91,
p. 95 à 109.
40 Le rôle du Conseil sur ce sujet est bien rappelé par Frédéric Viguier, in La cause
des pauvres en France, 2020, Presses de Sciences Po. Les rapports en question
sont les suivants : rapp., La lutte contre la pauvreté, 1979, H. Pequignot ; rapp.,
Grande pauvreté et précarité économique et sociale, 1987, Joseph Wresinski ;
rapp., Évaluation des politiques publiques de lutte contre la grande pauvreté,
1995, G. De Gaulle-Anthonioz.
41 Même s'ils sont d'inégales importances dans leur périmètre, on peut relever des
rapports en 1953, 1960, 1962, 1964, 1967, 1971, 1978, 1982, 2004 et 2005.
V. A. Chatriot, « L'expertise du Conseil économique sur la politique scientifique
française », in A. Chatriot et V. Duclert (dir.), Le gouvernement de la recherche.
Histoire d'un engagement politique de Pierre Mendès France au général de Gaulle
(1953-1969), 2006, La Découverte, p. 101 à 112.
du Nord-Pas-de-Calais et conseiller municipal de l'Union
des démocrates pour la République de Granville, est désigné
comme rapporteur. Il présente sa méthode de travail lors de la
séance du 30 avril. La décision d'auditionner Pierre Sudreau
est prise tout de suite, mais des problèmes de santé ne permettent
sa venue que le 11 juin.
Le patronat, par les voix d'Yvon Chotard et d'Aimery d'Oiron
(vice-président de la confédération des petites et moyennes
entreprises, se montre très virulent. À la séance du 3 juin de
la commission, le patronat lance sa proposition provocatrice :
changer les règles sur les candidatures libres au premier tour
des élections au comité d'entreprise, en revenant sur le privilège
des syndicats représentatifs acquis à la Libération et qui
empêche le patronat de mettre en avant les organisations qu'il
soutient. La proposition de remettre en cause l'ordonnance
de 1945 sur la représentativité est très mal interprétée par les
différents syndicats de salariés. Le sens de l'offensive patronale
est alors d'ailleurs explicité par la presse. Les débats restent
très vifs et le rapport préparé ne satisfait que peu de conseillers.
Il était pourtant resté très général, soulignant que si des
propositions du rapport Sudreau donnaient lieu à des dispositions
législatives, le Conseil devrait en être saisi pour un
examen complet par les sections spécialisées. Les séances en
assemblée plénière des 1er
et 2 juillet sont en effet encore assez
tendues. L'avis est finalement voté par 111 voix contre 41
(confédération française démocratique du travail, confédération
générale du travail et force ouvrière) et 18 abstentions
(confédération française des travailleurs chrétiens, union
nationale des associations familiales et coopération). Sur le
point crucial, le groupe des entreprises privées n'a malgré tout
42 Comité d'études pour la réforme de l'entreprise, présidé par P. Sudreau, rapp.,
1975, La Documentation française, rééd. Union générale d'éditions, « 10/18 ».
Pour une mise en perspective historique, A. Chatriot, « La Réforme de l'entreprise.
Du contrôle ouvrier à l'échec du projet modernisateur », Vingtième siècle,
revue d'histoire, avr.-juin 2012, n° 114, p. 183 à 197.
43 Archives nationales, 19920430165.
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