Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger 1-2024 - 57

Conseiller l'État
Les consultants et les inspections : une vraie
complémentarité
Un consultant intervient rarement seul. Il est idéalement
placé auprès d'un chef de projet pilotant
les travaux de manière opérationnelle, sous la
direction d'un sponsor du projet, disposant d'un
haut niveau hiérarchique, par exemple, un directeur
d'administration centrale. Ces travaux, pour
un ministère, peuvent sembler à première vue
en doublon avec les travaux d'une inspection, en
charge d'auditer les actions du ministère, mais
aussi d'émettre des recommandations proches
de « conseils » aux dirigeants publics, avec leur
propre sensibilité selon le cœur de métier de l'inspection
(finances, administration, affaires sociales,
éducation...). À plusieurs reprises, des équipes de
conseil externe ont travaillé de concert avec des
équipes d'inspecteurs pour construire des revues
de politiques publiques (RGPP entre 2008 et 2011)a
puis des évaluations de politiques publiques (MAP
de 2013 à 2015), pratique écartée depuis 2017.
Cette complémentarité liée à la différence de
regard public/privé et à la mobilisation d'expertises
différentes offre un regard plus fin sur les
réformes à conduire et donne une précision supplémentaire
sur les possibilités de mise en œuvre
des décisions. Ce travail commun est une piste
intéressante pour répondre à la fois au procès en
illégitimité des consultants et à la critique d'« inopérationnalité
» de certaines recommandations
émises par les inspections.
F. Geledan, « " Dégraisser le mammouth " . Représenter l'État à réformer
dans le cadre de la révision générale des politiques publiques
(2007-2012) », Revue française d'administration publique 2021/2,
n° 178, p. 363 à 382.
a
A. La mise en œuvre des projets est un impensé
des administrations et nourrit un besoin
important d'accélération et d'exécution, plus
marqué encore que pour les autres acteurs
publics
II. Conseiller l'État, c'est surtout
structurer et accélérer les projets
Si les cabinets de conseil facilitent la prise de décision de la
part de l'État, leur apport réside au premier chef dans la mise
en œuvre des projets (A). À cet effet, celle-ci s'appuie sur des
méthodologies éprouvées et des expertises fines en constante
évolution, dont les administrations sont rarement dotées (B).
En outre, le rythme d'évolution des technologies - du numérique
à l'IA - requiert des investissements très significatifs,
que les cabinets de conseil peuvent aider à rentabiliser (C).
Au sein de l'État, l'énergie des acteurs, politiques comme
directeurs d'administration centrale, est d'abord mise, traditionnellement,
sur la construction de la décision, compte
tenu de la complexité et de la durée de cette construction.
Celle-ci requiert, en effet, de multiples étapes - notamment
législatives - et, de plus en plus souvent, la consultation de
structures représentant les différentes parties prenantes et
de multiples « corps intermédiaires », surtout pour les décisions
à fort impact auprès du grand public. Cette situation
apparaît particulièrement marquée dans le domaine de la
santé, où la prise de décision par l'État mobilise souvent, en
amont, les organisations représentatives des structures hospitalières,
celles représentant les soignants, des acteurs économiques
(laboratoires pharmaceutiques...), des associations de
patients, voire le comité national d'éthique...
Au regard de ce primat traditionnel de la construction de
la décision, l'exécution a été généralement préparée dans un
deuxième temps, une fois que le cheminement conduisant
à l'élaboration de la décision de réforme a été achevé, voire
souvent sous-évaluée.
En conséquence, les services déconcentrés ont souvent été
assez peu accompagnés par l'administration centrale dans la
mise en œuvre des réformes, au-delà de l'édiction des circulaires
d'application.
Ce moindre poids accordé à la réalisation d'une réforme est
révélé notamment par le fait que les décideurs d'administration
centrale sont moins valorisés au titre de l'obtention de
résultats dans la mise en œuvre concrète d'un projet que dans
sa conception, à la différence de leurs homologues du secteur
privé ou même des collectivités territoriales, ce qui va
pousser les décideurs publics à adopter une gestion très précautionneuse
des risques liés à la mise en œuvre et à allonger
les délais d'exécution. Ainsi, par exemple, une réforme dans
l'Éducation nationale doit être anticipée au moins deux ans à
l'avance : la première année permet de structurer la réforme,
la seconde année vise à préparer son exécution (normes, budgets,
formation, mobilisation des recteurs et des chefs d'établissement...)
pour entrer en vigueur à la rentrée scolaire et
être opérationnelle en année 3.
Cela étant, et pour nuancer ce constat historique, l'accent
est mis récemment, dans le cadre des 60 politiques prioritaires
du gouvernement (PPG) fixées à l'été 2022, sur l'exécution
très concrète des chantiers prioritaires, « au dernier
kilomètre », (avec l'obtention de résultats tangibles pour les
Français), grâce à un soutien accru, proposé aux directeurs de
projet des chantiers prioritaires, par la direction interministérielle
de la transformation publique (DITP) et la direction
interministérielle du numérique (DINUM), soutien reposant
Re vue du dr oit public * Mar s 2024
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