Revue - Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger 1-2024 - 61

Conseiller l'État
En France, l'État s'est donné une stratégie ambitieuse visant
à faire du numérique un levier puissant pour rendre l'État
plus efficace, plus simple et plus souverain. Cette stratégie se
décline en quatre priorités 17
engager une mutation
, à savoir :
- 1.
profonde
des
organisations
publiques pour initier et conduire dans la durée les projets
numériques de l'État ;
- 2. renforcer significativement les compétences numériques
au sein de l'État ;
- 3. développer l'exploitation effective des données pour un
État plus efficace dans son action et plus simple vis-à-vis
des citoyens, des entreprises et des agents publics ;
- 4. préserver la souveraineté numérique de l'État en investissant
dans des outils numériques mutualisés.
Cela se traduit par des investissements conséquents. Par
exemple, l'État français a prévu un investissement de 500 millions
d'euros dès le Plan de relance pour la transformation
numérique de la fonction publique à partir de 2020, ou
encore 1,8 milliard d'euros pour le cloud au centre sur 4 ans
à partir de 2021 18
.
Ces investissements ne sont pas pour autant un gage de
garantie de succès tant les projets technologiques sont complexes
à réussir comme le montre le retour d'expérience de
certains chantiers comme Louvois au ministère des Armées,
l'ONP (Opérateur National de Paye) en interministériel ou
le SIRHEN (Système d'information de gestion des ressources
humaines et des moyens au ministère de l'Éducation nationale).
Cette
complexité intrinsèque des projets est accrue par les
évolutions à un rythme de plus en plus rapides des technologies
digitales.
Selon Gartner, celles-ci se transforment, en particulier, sous
l'effet de quatre tendances représentant la pointe de l'innovation
et qui devraient façonner de manière significative le
paysage technologique dans les années à venir.
La première tendance est liée à l'IA générative, qui désigne
des systèmes capables de créer du contenu, tel que du texte,
des images et de la musique. La seconde concerne le cloud
omniprésent, qui fait référence à l'expansion et l'intégration
du cloud computing dans divers aspects de la vie quotidienne
et professionnelle. La troisième tendance porte sur la sécurité
et la confidentialité centrées sur l'humain, avec des approches
de la sécurité et de la confidentialité mettant l'accent sur la
protection des utilisateurs et de leurs données. La dernière
tendance est le système immunitaire numérique, qui vise à
renforcer la résilience des systèmes numériques contre les
cyberattaques et les pannes.
17 DINUM, « Une stratégie numérique au service de l'efficacité de l'action
publique », 9 mars 2023 : https://lext.so/Q645-s.
18 Ces investissements demeurent cependant assez limités si on les compare aux
53,36 milliards de dollars investis par l'État fédéral américain au titre de son
budget informatique civil en 2021, tandis que la Chine populaire a dépensé
378 milliards de dollars en recherche et développement expérimental en 2020.
Profondes, ces évolutions technologiques sont de plus en plus
rapides, et ce, pour au moins deux raisons, selon Gartner.
D'une part, le changement accéléré en ce sens que chaque
amélioration technologique facilite le développement des
générations suivantes de technologies, créant un cycle d'innovation
d'autorenforcement. D'autre part, la demande croissante
de technologies avancées de la part des consommateurs
et des entreprises, qui stimule l'innovation et la production
technologique, entraîne une évolution plus rapide des technologies.
Dans
ce contexte, l'intervention de cabinets de conseil peut
permettre à l'État de sécuriser la bonne réalisation de ses projets
et d'assurer ainsi le retour sur investissement (ROI) de
ses placements conséquents. Ainsi, ces intervenants externes,
peuvent, par exemple, éclairer les décisions publiques par
leur capacité de benchmarking et apporter ainsi une analyse
approfondie dans le choix des technologies ou des solutions
informatiques à mettre en œuvre, compte tenu des besoins de
telle ou telle Administration. Ils peuvent également objectiver
les compétences à mobiliser quantitativement et qualitativement.
Ils peuvent aussi jouer le rôle de « tour de contrôle »
concernant la réalisation de projets complexes, en aidant les
administrations à identifier et piloter les risques inhérents à
tout projet technologique d'envergure. Ils peuvent également
apporter une « force de frappe » pour la bonne réalisation,
dans les délais, de projets - en particulier numériques - complexes,
en s'appuyant sur des experts maîtrisant les technologies
en évolution très rapide. Les cabinets de conseil procèdent
ainsi à des investissements conséquents pour être à la pointe
de ces évolutions. À titre d'illustration, Ernst and Young (EY)
a investi environ un milliard d'euros dans le domaine de l'IA
générative en 2023.
III. Faire évaluer les projets par un
tiers : une bonne pratique inspirée
par l'Europe
L'évaluation occupe une place à part dans la galaxie des prestations
de conseil à l'État comme d'ailleurs aux collectivités.
Elle est une discipline pratiquée à la fois par des acteurs publics
(Cour des comptes et chambres régionales des comptes, inspections,
corps de contrôle...), des scientifiques, notamment
universitaires 19
, seuls ou via leurs laboratoires de recherche 20
,
ou des acteurs privés tels des cabinets de conseil. Les évaluations
bénéficient d'un présupposé de légitimité car elles
interviennent ex post, n'interférant donc pas avec la décision
publique, sont perçues comme un mode de contrôle du gou19
L'étude des évaluations réalisées par des universitaires est peu fréquente. Pour un
ex. étranger, v. V. Paatyn Valérie et a., « Les conseils stratégiques universitaires dans
les pays fondés sur le consensus : les cas de la Belgique et de l'Allemagne », Revue
internationale des sciences administratives 2022/1, vol. 88, p. 31 à 48.
20 Les laboratoires de recherche en sociologie (par ex., le Centre de Sociologie
des Organisations) ou d'économie (par ex., la Paris School of Economics ou la
Toulouse School of Economics) sont particulièrement sollicités et leurs membres
sont fréquemment experts de haut niveau à la demande des administrations, seuls
ou en équipes. À l'inverse, les juristes interviennent plus fréquemment en experts
individuels.
Re vue du dr oit public * Mar s 2024
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