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Conseiller l'État
C'est dans ce contexte mondial, relayé en France, que se sont
développées les compétences d'évaluation des cabinets d'audit
et de conseil autour d'équipes dédiées répondant fréquemment
aux appels d'offres publics (notamment les big four EY,
KPMG, PWC, Deloitte, et des cabinets spécialisés sur des
questions de politiques publiques, par exemple Quadrant,
CMI ou Planète publique). Étonnamment, dans son rapport
annuel sur l'évaluation des politiques publiques en 2020,
le Conseil d'État ne les évoque pas dans son panorama des
acteurs concourant à cette pratique 23
. Ce développement s'est
réalisé notamment à partir de contrats européens ou d'organisations
internationales, relayés par des projets commandés
par des administrations françaises. S'y retrouvent de manière
récurrente les évaluations de politiques outre-mer, de projets
d'aide au développement, d'expérimentations au sein des
politiques sociales ou éducatives. Parfois, un dispositif plus
global se met en place avec un programme d'évaluation pluriannuel
visant à sélectionner des politiques publiques prioritaires
sur lesquelles les ministères envisageraient des réformes
et à les articuler de manière cohérente, comme ce fut le cas
dans le programme de travail de la modernisation de l'action
publique en 2012. Ces 49 évaluations devaient toutes être
présentées périodiquement lors d'un Conseil interministériel
de l'action publique (CIMAP) afin de prendre des décisions
à court terme sur la base des conclusions. Celles-ci étaient
réalisées par une équipe opérationnelle inter-inspections, et
« ouvertes à des experts externes, tels que des scientifiques,
universitaires ou consultants externes » 24
. Ainsi, aujourd'hui,
le conseil d'administration de la Société française d'évaluation,
est composé de manière tripartite entre des inspecteurs
des corps d'inspection intéressés par les évaluations (par ex.,
Inspection générale de la ville de Paris, inspection générale
de l'INSEE, Inspection générale de l'Administration (IGA),
etc.), de représentants de cabinets de conseil et d'évaluateurs
travaillant directement pour des administrations, des opérateurs
ou des collectivités locales 25
.
En effet, le développement de la fonction d'évaluateur s'est
accompagné du développement d'équipes d'évaluation au
sein des ministères. Souvent de petite taille, elles pilotent
les évaluations externes, fournissent des outils d'évaluation
aux équipes et animent ces dispositifs. Elles sont notamment
présentes dans la sphère internationale (ministère des
Affaires Étrangères, direction générale du Trésor), la sphère
éducative (direction de l'évaluation, de la prospective et de
la performance du ministère de l'Éducation nationale), la
sphère sociale (via la direction de la recherche, des études,
de l'évaluation et des statistiques-DREES) et en interministériel
au sein de la DITP (direction interministérielle de
la transformation publique). À plusieurs reprises, des orga23
CE, « Étude annuelle 2020 : Conduire et partager l'évaluation des politiques
publiques », 2020, La Documentation française.
24 C. Ferrier, « Évaluation des politiques publiques dans le cadre de la modernisation
de l'action publique : démarche, bilan et perspectives », EN3S, Regards,
nov. 2013, n° 44, p. 16.
25 https://lext.so/NixPXu.
nismes publics indépendants de l'administration centrale ont
été créés pour animer des démarches globales d'évaluation,
permettant de descendre à la maille des politiques des établissements
publics, notamment dans le domaine éducatif ou de
la santé pour respecter leurs marges d'autonomie et pour pouvoir
qualifier la pertinence de la recherche scientifique, via
l'évaluation par des pairs 26
. C'est par exemple le rôle du Haut
conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement
supérieur (HCERES), du Conseil de l'évaluation de l'école
ou la Haute autorité de santé 27
. Ainsi, l'évaluation est en
partie internalisée par l'État lorsqu'il s'agit d'industrialiser les
procédés d'évaluation pour toucher massivement l'ensemble
des acteurs d'une politique publique. Elle se distingue ainsi
du rôle de l'évaluation des politiques publiques par les parlementaires,
compétence inscrite dans la Constitution 28
, mais
dont le travail indispensable peut s'inscrire dans un agenda
politique propre au pouvoir législatif.
B. L'évaluation est un mode d'intervention à
mi-chemin entre le conseil et l'audit, s'appuyant
désormais sur des méthodes éprouvées
et standardisées
L'évaluation est une pratique qui se distingue en partie du
conseil, sans se confondre avec l'audit. Si le conseil vise
à formuler un accompagnement permettant de qualifier
ou d'accélérer une décision, l'évaluation se veut un mode
neutre de compréhension de ses impacts dans une logique
multidimensionnelle (économique, social, environnemental,
organisationnel et opérationnel). Elle obéit à des principes
éthiques : pluralité, distanciation, compétence, respect des
personnes, transparence, opportunité, responsabilité selon la
charte de l'évaluation promue par la Société française de l'évaluation.
Le commanditaire de l'étude cherche donc à disposer
du regard d'un tiers extérieur pour mesurer l'impact de sa
décision ou de celle d'un de ses prédécesseurs, sans se situer
obligatoirement dans un cadre d'action de court terme. Elle
n'est pas non plus un audit, au sens où les évaluateurs sont
mandatés et pilotés par un commanditaire et ne disposent
pas des garanties d'indépendance de la profession d'expertcomptable.
De plus, les méthodologies représentent un cadre
commun partagé mais sont moins fixes que des normes
comptables auxquels se plieraient des auditeurs, qui peuvent
cependant aussi faire des recommandations, dans le cadre de
leur rôle de conseil.
Une lecture alternative cherche à identifier les raisons du
recours à un tiers extérieur, en quelque sorte « à qui profite le
crime ? ». En analysant les conclusions des audits réalisés dans
26 B. Gille et B. Richet, « Les évaluations des politiques publiques de l'enseignement
scolaire en France. De l'évaluation des établissements au développement de la
fonction évaluative dans le ministère : premières étapes d'une évolution majeure
du système éducatif », Administration & Éducation 2023/2, n° 178, p. 65 à 71.
27 Pour un panorama des théories d'évaluation de la performance dans le domaine
de la santé, v. J. Sebai, « L'évaluation de la performance dans le système de soins.
Que disent les théories ? », Santé Publique 2015/3, vol. 27, p. 395 à 403.
28 L'alinéa 1 de l'article 24 de la Constitution précise que « le Parlement vote la loi. Il
contrôle l'action du gouvernement. Il évalue les politiques publiques ».
Re vue du dr oit public * Mar s 2024
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