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Conseiller l'État
même, elle tient à un mélange, sans doute un peu inextricable
au vu du contexte retracé à gros traits ci-dessus, de sociologie
des élites administratives et de caractéristiques propres au
monde du conseil. En bref, qu'elle soit observée à partir des
cabinets ou des consultants, la relation à l'État est tellement
intense qu'il est difficile de savoir si l'on se trouve à l'intérieur
ou à l'extérieur 150
.
En effet, s'il mobilise en valeur absolue un grand nombre d'entreprises,
le marché du conseil à l'État est concentré autour
d'une vingtaine de cabinets 151
par la circulaire Castex 153
. Cette concentration est favorisée
par l'utilisation de la technique des accords-cadres - il en
existe plusieurs 152
, dont celui de la DITP largement modifié
- pour une bonne partie des prestations,
voire la quasi-intégralité en ce qui concerne le conseil
en stratégie. Or, il s'agit d'un procédé que d'aucuns juge
intrinsèquement problématique 154
, d'autant plus lorsqu'il
, comme
est adossé à « une vaste centralisation des achats » 155
c'est le cas avec les accords-cadres de l'UGAP ou de la DITP.
D'une part, la technique d'achat peut aisément faire l'objet
de dévoiements conduisant un donneur d'ordre à recourir
toujours au même prestataire - par instrumentalisation
de la règle dite du tourniquet 156
extensive du droit de suite » 157
effets néfastes, ne serait-ce que sur le plan économique 158
ou en raison d'une « vision
- ce qui produit plusieurs
.
D'autre part, l'accord-cadre, notamment lorsque son exécution
s'effectue par l'émission de bons de commande - et non
grâce à des marchés subséquents - apparaît particulièrement
peu adapté aux achats de prestations de conseil, du fait de
leur indétermination 159
tion des besoins du donneur d'ordre soit orientée 160
coconstruite par le consultant 161
. Cela conduit à ce que la formalisa,
sinon
. L'entorse aux principes de
la commande publique est évidemment problématique, mais
150 Il s'agit d'une remarque contextualisée. L'idée n'est pas de prétendre que la
relation de conseil est toujours et partout identique. Sur cette question, v.
S. Canback, « The Logic of Management Consulting (Part One) », Journal of
Management Consulting 1998, vol. 10, n° 2, p. 6.
151 Rapp. Assassi, p. 54.
152 IGF 2023, annexe IV, p. 2 ; Cour des comptes 2023, p. 68.
153 IGF 2023, annexe VI, p. 4.
154 P.-A. Zalcberg, « De l'usage abusif ou anticoncurrentiel de l'accord-cadre :
réflexions sur la portée pratique de l'article R. 2162-1 du Code de la commande
publique », Contrats-Marchés publ. 2023, n° 6, étude 6, pt 10 : « On relève surtout
avec grand intérêt que, parmi les six techniques d'achat identifiées à l'article
L. 2125-1 du CCP, seul l'accord-cadre fait l'objet d'un rappel particulier sur le
fait que son usage ne doit pas être abusif, ni fausser ou restreindre la concurrence,
alors qu'il est évident qu'aucune technique d'achat ne saurait jamais conduire
à tel résultat ».
155 P.-A. Zalcberg, « De l'usage abusif ou anticoncurrentiel de l'accord-cadre :
réflexions sur la portée pratique de l'article R. 2162-1 du Code de la commande
publique », Contrats-Marchés publ. 2023, n° 6, étude 6, pt. 28.
156 Cour des comptes 2023, p. 84.
157 Rapp. Assassi, p. 67.
158 A. Sturdy, I. Kirkpatrick, N. Reguera, A. Blanco-Oliver et G. Veronesi, « The
management consultancy effect : Demand inflation and its consequences in
the sourcing of external knowledge », Public Administration 2022, vol. 100,
n° 3, p. 493.
159 Cour des comptes 2023, p. 79.
160 P.-A. Zalcberg, « De l'usage abusif ou anticoncurrentiel de l'accord-cadre :
réflexions sur la portée pratique de l'article R. 2162-1 du Code de la commande
publique », Contrats-Marchés publ. 2023, n° 6, étude 6, p. 81.
161 A. Sturdy, « Promoting solutions and co-constructing problems - management
consultancy and instrument constituencies », Policy and Society 2018, vol. 37,
n° 1, p. 80 et s.
dans la perspective ici retenue, le plus important tient à l'immixtion
du tiers auquel l'État recourt à un stade extrêmement
précoce du processus productif d'une activité. Un stade dont
la maîtrise par le donneur d'ordre témoigne précisément du
fait qu'il s'agit d'une activité dont il a besoin. Tout se passe
alors comme si les consultants intervenaient avant le recours
au marché, c'est-à-dire avant l'extériorisation. Cette situation
est profondément accentuée par l'existence de divers réseaux
de sociabilité entre décideurs publics et privés. À partir d'une
enquête sur le « Club de la modernisation de l'État », Julie
Gervais conclut ainsi « [l]oin d'être le point de départ d'une
relation commerciale, la publication d'un appel d'offres par
une administration ou une collectivité territoriale est en réalité
le point d'aboutissement d'un long processus d'interactions
entre le client et les (ou le) prestataires potentiels » 162
.
S'agissant, non sans lien, des consultants (au sens d'individus)
eux-mêmes, la posture d'extériorité est également difficile
à établir. Et pour cause : « La discrétion fait partie intégrante
» 163
de leur mission, au point qu'ils se fondent parfois
dans l'organisation cliente. Comme le relève la commission
Assassi - en évoquant les notes rédigées en marque blanche
lors de la crise sanitaire ou l'attribution d'adresses mail institutionnelles
-, ce système de l'« équipe intégrée » peut
conduire à considérer que les consultants sont « quasiment
assimilés à des agents publics » 164
. On peut prendre l'hypo).
C'est ce que font d'ailleurs
thèse au sérieux jusqu'au risque pénal (en l'occurrence, de
prêt illicite de main-d'œuvre 165
les acheteurs publics, comme l'atteste le dimensionnement de
la rémunération des prestations de conseil sur la base d'unités
d'œuvre et non directement à partir des jours-hommes utilisés
par les consultants 166
. Plus fondamentalement, il n'est
pas incongru de considérer que les agents publics (pas tous
évidemment) à l'interface, notamment interministérielle, du
consulting sont littéralement des consultants : pas seulement
par identité d'activité - il s'agit effectivement de structurer du
conseil interne -, mais parce qu'ils viennent des cabinets de
conseil. Un bon exemple de la constance de cette situation
depuis la DGME jusqu'à la DITP est le fait que François
Gobillard, l'actuel directeur du pôle interministériel d'achat
de prestations de conseil - mis en place à la suite de la circulaire
Castex - est un ancien consultant de chez Roland
Berger 167
. De manière un peu paradoxale, le mouvement
162 J. Gervais, « Les sommets très privés de l'État. Le " Club des acteurs de la modernisation "
et l'hybridation des élites », Actes de la recherche en sciences sociales
2012/4, n° 194, § 23. Et de poursuivre : « Tous les membres du club interrogés
ont insisté sur le caractère essentiel du travail en amont qui consiste à entrer en
contact avec le client, à se faire connaître, et à bâtir avec lui le projet de réforme
et, partant, les termes de l'appel d'offres qui doivent positionner leur société de
manière favorable pour remporter le marché ».
163 P. Lascoumes et D. Lorrain, « Trous noirs du pouvoir. Les intermédiaires de
l'action publique », Sociologie du travail 2007, vol. 49, n° 1, § 15.
164 Rapp. Assassi, p. 16 et 170.
165 C. trav., art. L. 8241-1.
166 Rapp. Assassi, p. 152.
167 M. Aron, C. Michel-Aguirre, Les infiltrés. Comment les cabinets de conseil ont pris
le contrôle de l'État (2022), 2023, Points, p. 84 et s.
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